mercredi 7 novembre 2007

vendredi 1 juin 2007

La vie d'une femme

CHAPITRE 1









Yougoslavie - Kaniza près de Slavonski Brod - 1911
« Maman, maman, pourquoi tu ne bouges plus ? »
Marie avait deux ans à peine. Elle ne comprenait pas pourquoi sa maman ne répondait pas à ses appels.
Elle était si petite, toute blonde avec de grands yeux bleus, toute menue et ressemblant à une poupée.
Marie avait peur, jamais sa maman n’était restée endormie si longtemps, et d’habitude, elle ne dormait pas par terre ! La petite avait beau appeler et secouer sa maman, rien n’y faisait, maman ne bougeait toujours pas.
Elle resta près de sa mère pendant des heures, ainsi allongée par terre auprès d'elle. Puis pour que sa maman ait moins froid, elle alla dans la chambre prendre un oreiller et une couverture.
Marie souleva doucement la lourde tête endormie et la posât délicatement sur l’oreiller en couvrant ses cheveux avec son châle. Tout en se blottissant dans ses bras sous la couverture, la petite s’adressât ainsi à sa mère.
« Maman, tu es toute froide ! » Dit la fillette.
Mais maman ne répondait pas, et Marie se mit à pleurer. Elle pleurait en appelant sa mère.
« Maman ! Maman, réveille-toi ! », Épuisée, Marie s’endormit.
Vers vingt-deux heures, papa Luc arriva de son travail et on entendit, dans tout le voisinage, un hurlement de douleur. Luc voulut prendre Marie dans ses bras, mais celle-ci, s'agrippant à sa mère se mit à pleurer, alors Luc s'allongea auprès d'elles et ils s'endormirent ainsi tous les trois, Marie entre son papa et sa maman.
Au matin, Luc porta sa femme dans leur chambre et il expliqua à Marie que comme elle était très gentille, sa maman, avait été appelée près du Bon Dieu. Certainement un jour prochain, tous ensemble se retrouveraient là-bas pour y être heureux éternellement. Sous une triste pluie, rendant encore plus sinistre le lugubre enterrement, Marie vit horrifiée sa petite maman disparaître injustement dans un profond trou sombre. Elle avait du mal à comprendre pourquoi on la laissait seule dans une boite sous terre alors qu’elle était sensée aller voir le Bon Dieu dans le ciel.
Grand gaillard bien bâti aux yeux verts assortis de cheveux châtain, Luc était depuis toujours connu de tous comme un brave homme courageux, travailleur et honnête, portant avec fierté une belle moustache, taillée régulièrement par le barbier du village. Devenu veuf à cause de la cruauté de son propre destin, il se laissait aller car sa misérable vie lui paraissait désormais insupportable. Sans sa petite fille, il ne se serait certainement jamais remis à travailler. A présent, comment allait-il réussir seul à élever Marie ? Au quotidien intérieurement rongé par l’inquiétude, alors qu’encore bébé, celle-ci restait toute seule pendant que lui-même partait gagner de l'argent pour les faire vivre, la pauvre enfant pleurait toute la journée en attendant son père. Elle avait si peur toute seule dans la maison vide. Maman lui manquait beaucoup et souvent, la petite s’allongeait sur le lit de ses parents. Elle pleurait en se rappelant sa maman chérie. Comme elle lui manquait sa tendre maman ! Elle était si jeune Marie !
A partir de ce terrible drame, le temps s’écoulait bien péniblement pour la pauvre enfant, livrée à elle-même alors qu’elle n’avait à peine que deux ans. Luc devait travailler, il n'avait pas le choix, il était très pauvre, et ne pouvait pas payer quelqu'un pour s'occuper de sa fille. Son cœur se déchirait chaque jour en partant au travail, alors qu‘il devait laisser petite sa fille seule. Comme il lui fallait trouver une solution d’urgence, il décida par pragmatisme de se remarier, bien que portant toujours le deuil de sa femme qu’il revoyait sans cesse dans les yeux de Marie. Dans la tête de cet homme se bousculaient la réalité de sa pauvreté et le désir de révolte face au malheur. Nul ne pouvait réellement comprendre les nobles sentiments d'un homme ordinaire, frappé par la douleur, mais néanmoins conscient de sa responsabilité et de ses obligations paternelles. Inconsolable et éternellement très malheureux d’avoir perdu la femme qu’il avait tant chérie, sa petite Marie avait plus que jamais besoin d’une maman. Ainsi le bien-être de cette petite passait avant le souvenir, encore vivace et douloureux de sa femme morte. La vie devait continuer son chemin, envers et contre tout inexorablement.
Il fallait qu'il trouve rapidement une maman pour sa petite Marie. Dans son village, à « Kaniza », vivait une femme seule, qui s'appelait Paula. Egalement veuve et cela depuis plus d’une dizaine d'années, c’était une femme assez forte, pas très grande, brune et apparemment très gentille. Luc bien déterminé à aller trouver Paula dès le lendemain, était déjà très impatient de savoir ce qu’elle déciderait. Et si elle n'acceptait pas de se marier ! L'angoisse reviendrait ! Et pire encore ! Il prit sa fille dans ses bras et se mit à pleurer.
"Papa, pourquoi tu pleures?" demanda Marie.
"Ah ! Ma petite fille, j'aimerais tant que tu sois heureuse !"
Luc prit sa fille sur ses genoux et la serra très fort contre son cœur. La fillette ne comprenait pas très bien ce que lui disait son père, mais elle voyait bien qu’il était triste, et du haut de ses deux ans, elle ne savait pas quoi faire pour consoler son papa, alors, elle mit ses petits bras autour du cou de son père, le serra de toutes ses forces et lui plaqua un énorme bisou sonore sur la joue. Luc regarda sa fille avec tendresse.
« Tu es mon ange, mon rayon de soleil ! » lui dit-il.
Luc commença à se préparer pour sa visite chez Paula. Il mit sa chemise des dimanches, nettoya bien ses chaussures, arrangea ses cheveux et prit son courage à deux mains. Tout en réfléchissant, il marchait lentement en direction de sa maison.
« Paula acceptera-elle de se marier avec moi ? » pensa-t-il. Et tout en se rapprochant de chez elle, il pria Dieu.
« Oh mon Dieu ! Aide-moi ! Aide-moi à trouver les bons mots pour qu'elle accepte de se marier avec moi et qu'elle accepte ma petite fille ! Ma petite Marie, elle est tellement fragile, elle a tant besoin de l'amour d'une maman ! ».
Perdu dans ses pensées, Luc fut tout surpris de déjà se trouver devant la maison de Paula. Il l'aperçut dans son jardin.
« Bonjour Paula ! »
Elle se retourna, surprise que quelqu'un l'interpelle.
« Bonjour Luc ! Quel bon vent t'amènes ? Entre donc un instant boire un café ! Mais assieds-toi donc ! »
Bloqué par le trac, le pauvre Luc ne disait toujours pas un mot. Paula revint à la charge.
« Comment ça va chez toi, Luc ? Et ta petite Marie ? Est-ce qu’elle arrive à se remettre un peu de la mort de sa pauvre mère ? » Lui demanda-elle encore, afin de démarrer la conversation.
Luc ne savait pas trop comment répondre. Alors, après un court instant d'hésitation, il lui dit.
« Moi ? Ca va ! Mais toi, Paula ! Tu es toujours seule ? »
Gêné du silence qu’il provoqua en l’ayant surprise par cette question intime, il repris.
« Ecoute-moi, Paula ! Tu sais, je n'ai pas beaucoup de temps pour te faire la cour ! »
Paula écouta avec stupéfaction ce que lui disait Luc. C'était bien la première fois qu'un homme lui disait d'une façon aussi directe de telles choses !
« Je suis venu te voir ! » continua Luc, « Pour te demander si tu serais d'accord pour m'épouser, car ma petite Marie a besoin d'une maman, et moi d'une femme à la maison !»
Luc se sentait soulagé d'avoir réussi à surmonter sa panique et d'avoir pu s'exprimer à peu près clairement.
Paula sentit ses jambes fléchir sous elle. Complètement abasourdie, elle s’assit sur la chaise qui se trouvait près de la table en bois. Le souffle coupé, ne pouvant plus rien dire, les idées dans sa tête se bousculaient.
Après un long silence, elle répondit enfin.
« Laisse-moi un peu de temps pour y réfléchir ! Tu sais bien comme moi qu’une telle décision ne se prend pas à la légère ! Laisse-moi quelques jours pour y penser, et je te donnerais une réponse franche et honnête ! ».
« D’accord, je trouve ça d’ailleurs tout à fait normal ! J’attendrais donc quelques jours ta réponse ! Je te souhaite une excellente journée ! Au revoir Paula, à très bientôt ! ».
Luc pris congé de Paula et rentra aussitôt chez lui. En arrivant dans sa maison, pressé de retrouver sa petite fille, il la serra très fort dans ses bras.
Marie posait beaucoup de questions à son père.
« Est-ce que ma nouvelle maman sera aussi gentille avec moi que l’était ma vrai maman ? »
Luc ne savait pas quoi lui répondre. La gorge serrée, des larmes roulaient sur ses joues, il prit sa fille contre lui et lui répondit tendrement.
« Ma petite fille chérie ! Je suis sûr que Paula sera bonne pour toi et qu'elle sera une gentille maman ! ».
Mais, au fond de son cœur, il savait bien que quoi qu’elle fasse, Paula ne pourrait jamais totalement remplacer la véritable maman de sa petite Marie.
Il n'y avait pourtant pas d'autre solution envisageable.
Réellement content d'avoir pu enfin trouver une femme, pouvant donner un semblant d’amour maternel à sa fille, Luc se disait qu’au moins, Marie ne serait plus jamais seule, pendant qu’il partirait travailler. Et puis qui sait ? Paula serait pux-être une gentille mère et peut-être même une excellente épouse. « Après tout ! » Pensait Luc, « je ne peux pas rester toujours seul ! »
Le dimanche suivant, au petit matin, Luc se prépara pour aller à nouveau visiter Paula, en espérant bien avoir une réponse, quelle qu’elle fut à sa demande.
Arrivé devant chez elle, il toqua sur la porte d’entrée qui s'ouvrit presque aussitôt, comme si Paula avait pressentie d’avance qu'il arrivait.
Voyant un large sourire sur son visage, beaucoup plus radieux qu’à leur première rencontre, Luc devina que la réponse était celle qu'il avait tant espéré.
« Alors, as-tu bien réfléchi ? » lui demanda-t-il a abruptement sans même prendre le temps de la saluer.
« Oui ! Je veux bien devenir ta femme ! »
Elle sauta au cou de son futur époux, et puis ils s'embrassèrent longuement.
Le rêve de Luc allait enfin se réaliser. Cette femme épanouie allait à nouveau éclairer ses jours, ainsi que ceux de sa fillette. Il s'en retourna très vite chez lui pour annoncer la bonne nouvelle à sa petite Marie.
Quand Luc appris à sa fille qu'il allait bientôt se remarier avec Paula, la petite fille bondit au cou de son père pour l'embrasser, et une larme coula sur sa petite joue.
« Pourquoi es-tu triste, ma petite princesse ? » demanda Luc un peu inquiet devant cette larme.
« Oh ! Non papa ! Tu sais ! Je suis bien contente, d’avoir enfin bientôt une nouvelle maman ! » Pétillait déjà Marie.
Elle disait vrai. Ses yeux brillaient comme des étoiles, car c’en était enfin fini de ces longues journées solitaires et effrayantes, pour une si jeune enfant.
Luc entrepris donc de faire toutes les démarches administratives nécessaires et se chargea également d'avertir aussitôt toute sa famille, ainsi que ses amis ; sans oublier le prêtre qu'il connaissait bien, ceci afin d’assurer l’office cérémonial.
Ayant beaucoup d'estime pour Luc, le prêtre savait déjà que la vie du jeune homme n'avait pas été des plus facile. Aussi approuvait-il le remariage de Luc, lui donnant sa bénédiction.
« Tu as bien fait de décider de te remarier, car ta petite Marie à bien besoin d'une maman, et toi d'une femme pour t’épanouir à nouveau ! Quand veux-tu te marier, au juste ? »
« Le plus tôt possible, mon père ! Disons dans deux semaines ! »
« Ah, Luc ! Tu es bien pressé ! » Répondit le prêtre, un peu surpris par tant de hâte.
« Mais tu n’as pas à t’inquiéter, je te comprend mon garçon ! Allez ! C'est d'accord ! Va pour dans deux semaines ! »
« Parfait ! » Répondit Luc.
« Je vous souhaite beaucoup de bonheur à tous les trois ! Paula est une gentille femme ! Elle aussi a eut son lot de malheurs ! » Ajoutât le prêtre.
En quittant ce dernier, Luc avait le visage visiblement radieux. Un immense sourire éclairait encore son visage quand il arriva à la mairie.
Si Luc désirait que tout soit terminé au plus vite, ce n’était pas parce qu'il redoutait véritablement la cérémonie, mais qu’il avait surtout hâte de reprendre une vie normale, ceci afin de retrouver son travail rapidement. Car il fallait bien nourrir sa famille, le banquet du mariage entraînant immanquablement des frais.
Paula folle de joie, s'empressa illico d'avertir sa famille, ainsi que tous ses amis. Il fallait rapidement se préparer pour le grand jour, et deux semaines, ça passe tellement vite !
Paula se rendit ainsi chez sa très chère tante, afin de lui faire part de son intention d'épouser le déconcertant Luc. Visiblement ravie par cette surprenante bonne nouvelle, son adorable tante pria mystérieusement la jeune femme, de bien vouloir accepter de l’accompagner, ceci sans lui poser aucune question jusqu’à sa chambre. Légèrement perplexe, semblant surtout intrigué, Paula suivit sa tante sans discuter, jusqu’à ce que celle-ci sorte une grande cape noire de l'immense armoire qui meublait sa chambre. Puis écartant les pans de la cape, une magnifique robe de mariée apparut enfin.
« C'était la mienne ! » Murmura la tante avec nostalgie. « Mais à présent, elle ne me servira plus ! Ce serait pour moi un immense privilège, si ma nièce me faisait le grand honneur d’accepter de la porter pour son mariage ! »
Paula rose de plaisir, pressa la robe contre elle.
« Regardez ma tante, on dirait que cette robe a été faite à mes mesures! »
Paula se jeta dans les bras de sa tante et elle se mit à pleurer de joie.
« Ne pleure donc pas, Paula ! Tu verras que dans cette robe, tu seras la plus jolie des mariées ! Mais attends ! J'ai encore une dernière petite chose pour toi ! Regardes vite dans la boite ! Là-bas, vers le lit ! »
« Quelle belle paire de chaussures ! Oh ! Et entièrement en satin ! Quelle merveille ! »
De toute sa vie, jamais Paula n'avait rien vu d’aussi joli.
« Essaies-les donc ! » Dit sa Tante.
« Tu a vu ! Elles sont exactement à ta pointure, comme la robe ! Te voilà parée pour le grand jour ! »
L'émotion de Paula était si forte que la jeune femme n'arrivait plus à sortir un mot.
« Merci ! Merci de tout mon cœur, chère Tante adorée ! » Finit elle enfin.
Paula repartit chez elle en courant. Presque en volant, tant elle se sentait légère et heureuse.
Ce fut un beau mariage, pas très riche, mais très gai. Telle une véritable princesse immaculée, Paula resplendissait dans sa somptueuse robe blanche. Très digne dans son costume des dimanches Luc tellement fier, fut heureux de ce mariage réussit.
Il remercia chaleureusement toutes les personnes présentes à la fête pour leur gentillesse et pour lui avoir fait un mariage aussi réussi.
Dans les bras de son père, Marie était heureuse, maintenant, elle allait avoir une maman, et Paula avait l'air vraiment très gentille !












CHAPITRE 2










Ainsi, deux années s'écoulèrent tranquillement, avec les joies et les peines de tous les jours. Luc travaillait chez une riche famille propriétaire d’une grande ferme ; tandis que Paula, tenant son rôle d'épouse réellement à coeur, s’occupait entièrement de la maison, en faisant office de maman pour Marie.
Malheureusement, des évènements tragiques allaient irrémédiablement bouleverser leur paisible existence.
1914 : C'est la guerre !
Comme presque tous les hommes des villages, Luc fut mobilisé pour aller au front.
Les préparatifs du départ de Luc se firent dans le silence et la tristesse. Le plus difficile avait été d’expliquer ce soudain départ à la petite Marie. N’ayant pas encore cinq ans, elle ne comprenait pas pourquoi son papa devait s’en aller si soudainement.
Puis le moment fatidique arriva. Luc très silencieux, avait les yeux beaucoup plus brillants que d’habitude. Bien que très jeune, Marie sentait bien que quelque chose attristait terriblement son papa.
Luc tira un tabouret, s’assit dessus et appela sa fille.
Prenant Marie sur ses genoux en pleurant, il l'embrassât en lui disant :
« Ma petite fille chérie ! Je dois partir ! Je ne reviendrais pas avant longtemps ! Mais toi, tu ne seras pas seule ! Tu resteras ici avec Paula ! Aujourd'hui, tu as presque cinq ans ! Tu es une grande fille ! Il faudra être bien sage avec Paula ! Je t'aime fort ma petite chérie, mais je n'ai pas le choix ! Je suis obligé de partir! »
Marie ne comprenait rien :
« Pourquoi tu t'en va ? Papa ! Pourquoi je dois rester sans papa ? »
Elle ressentait l'immense tristesse qui avait envahie son père, alors, de toutes ces forces, elle accrocha ses petits bras autour du cou de Luc et lui demanda :
« Tu reviendras vite ? Je t'aime papa ! Je veux que tu restes avec moi ! Pourquoi tu ne peux pas toujours rester ici avec moi ? »
« Ma pauvre petite fille, je suis obligé de partir ! » répondit encore Luc.
Luc pris sa fille dans ses bras et l'embrassa une dernière fois, puis il embrassa sa femme Paula.
Paula pris Marie dans ces bras afin que la petite ne puisse pas courir derrière son père.
La pauvre enfant pleurait et criait.
« Papa, revient, reste avec nous ! Papa ! Papa ! ».
Luc partit précipitamment pour réussir à s’en aller. Personne ne s'était aperçu qu'il pleurait aussi et pendant longtemps, très longtemps, les cris de sa petite fille lui résonnaient dans les oreilles.
Paula et Marie restèrent seules.
Bien vite, l'ambiance à la maison si paisible et si tranquille, se transforma en cauchemar pour la petite Marie et alors, commençât le dur calvaire de Marie. Du jour au lendemain, la douce Paula sa changea en vilaine bonne femme agressive ; se mettant à frapper la pauvre enfant pour un oui ou pour un non.
Marie travaillait durement aux tâches les plus ingrates et les plus difficiles : balayer le sol, aller chercher de l'eau à la rivière, faire la vaisselle, ramasser du bois dans la grande forêt, et le plus sur de tout, prendre des gifles à tout va, sans raison particulière.
Paula faisait régulièrement des reproches à la pauvre Marie :
« Ton père est parti ! Il t'a laissée avec moi ! Mais tu n'es pas ma fille ! D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je te garderais plus longtemps avec moi ! Tu n'es qu'une fainéante ! Dépêches-toi ! J’ai besoin de bois, il faut allumer le four! ».
Il fallait aller toujours plus vite, toujours plus loin dans la forêt pour aller ramasser du bois et Marie avait peur toute seule dans la grande forêt. Elle entendait le bruit des animaux dans les taillis. Les cris affreux des oiseaux nocturnes, perchés dans les arbres.
Le moindre son, le plus petit bruit la faisait sursauter. Les arbres sombres lui paraissaient immenses, de vrais géants, dont les branches devenaient des bras mobiles sous le vent. Marie s'imaginait que les arbres essayaient de l'attraper.
Parfois, un écureuil sautait de branche en branche, le silence de la nuit faisait écho au son de ses petites pattes.
Marie était terrorisée, mais elle craignait plus encore la redoutable Paula. Alors, courageusement, elle ramassait le plus de bois possible, le plus vite possible. Puis elle repartait presque en courant jusqu'à sa maison.
A peine arrivée sur le pas de la porte, Paula qui l'attendait l'air très en colère, lui lança brusquement :
« Pourquoi as-tu mis tant de temps, tu t'es encore amusée ! Puisque tu as envie de bouger, va donc me chercher de l'eau à la source ! ».
Marie se mit à pleurer devant tant de méchanceté et d'injustices, mais résignée, elle pris le grand seau et parti à la source.
Comme il fallait qu'elle se dépêche et que le seau rempli d'eau était vraiment très lourd pour une si petite fille, Marie se pris le pied dans une racine et s'étala de tout son long dans les feuilles mortes, renversant du même coup le seau.
Catastrophe ! Marie courut de nouveau jusqu'à la source, remplit encore une fois son seau et repartit vers la maison en prenant bien garde de ne pas tomber encore une fois.
Furieuse, Paula trouvant le temps bien long, partit à la rencontre de la fillette.
Quand Marie aperçu Paula au détour du chemin, un frisson lui traversa le corps. Instinctivement, elle savait qu’il allait se passer quelque chose de terrible.
Sans un mot, Paula la gifla. Puis, en se retournant, elle dit à la petite fille :
« Tu n'es qu'une petite peste, je suis sûre que tu fais exprès de traîner sans arrêt ! »
Devant tant de cruauté, Marie ne pus retenir ses larmes.
« Je ne te supporte plus, je ne veux plus te voir dans ma maison, je vais t'envoyer travailler chez les autres ! » Ajouta Paula.
De retour à la maison, la pauvre petite fille partit se coucher sans souper. Elle mit des heures à s'endormir :
« Est-ce que Paula va vraiment m'envoyer travailler chez des gens ? » se demandait-elle.
« Oh, papa ! Mon Papa, vient me chercher, je t'en supplie, vient me chercher ! » Priait la fillette. « C'est sûr que si papa était là, les choses ne se passeraient pas comme ça ! » Pensait-elle. Finalement, épuisée, elle s'endormit.
Au petit matin, à peine à l'aube, Paula secoua la petite en criant :
« Lèves-toi paresseuse et ne traînes pas comme tu as l'habitude de le faire, rassembles toutes tes affaires et rejoins moi à la cuisine ! ». Paula fit demi-tour et retourna d’où elle venait.
Marie, les yeux gonflés de fatigue et de larmes, mis ses quelques affaires dans un panier ; pris son manteau, un morceau de pain pour la route et rejoignit Paula qui l'attendait déjà près de la porte :
« Je vais t'emmener chez mon cousin Marco, tu y garderas les oies ! ».
Plusieurs kilomètres séparaient les deux villages.
Dans ce nouveau « village », il n'y avait que trois maisons. Celle du cousin Marco et de sa femme Sophie était couverte d'un toit en ardoise. La maison n'était pas très haute, mais assez longue. D'un côté, se trouvait l'habitation pour les gens et de l'autre, il y avait l'étable, avec la réserve de foin pour les animaux. Dehors, les animaux de basse-cour étaient en liberté.
« Voilà où je t'amène ! » Dit Paula en lui montrant la ferme.
Quand Paula ouvrit le portail, un énorme chien apparut en aboyant comme un beau diable, tous crocs dehors, prêt à mordre. A la vue de l'animal effrayant, Marie fit un bond et se cacha derrière les jupes de Paula. Les aboiements du chien avaient fait sortir Marco de la maison.
La vision de cet homme ne rassura pas du tout la fillette. C'était un homme très grand, un peu gros, avec une grosse moustache, mal rasé, mal peigné. Il n'était plus très jeune.
Une grosse ceinture de cuir, avec une énorme boucle en métal, retenait son pantalon de velours marron. L'homme vint à leur rencontre en hurlant au chien de se taire.
Marie remarqua que l'homme se déplaçait en boitant, c'est pour cela qu'il n'était pas allé à la guerre. Avait expliqué Paula.
Paula embrassa son cousin Marco et lui dit :
« Je t'amène la petite, parce que je ne veux plus la garder avec moi. Ici au moins, elle te servira à garder les oies ! ».
Après quelques brèves paroles entre eux, Paula salua son cousin, se retourna vers Marie et lui dit :
« C'est ici que tu vas devoir rester maintenant, il faudra obéir à Marco et bien faire tout ce qu'il te dira ! ».
Et sans autre formalité, sans un baiser, pas même un regard pour Marie, Paula repartie chez elle.
Marie désemparée, se sentait seule à nouveau et l'homme qui se tenait devant elle avec l'air sévère, lui faisait peur.
Aucune marque de tendresse, ni même de gentillesse ne paraissait sur le visage de Marco :
« Viens, suis-moi ! » lui dit-il et il repartit en boitant vers la maison. Ce furent les seuls mots qu'il prononça pour accueillir la fillette.
La pièce principale était petite et mal éclairée. Une grande table en bois et deux bancs se trouvaient près de l'unique fenêtre. A l'autre bout de la pièce, il y avait un poêle à bois. Un buffet noirci par la suie et la fumée devait contenir tous les ustensiles de cuisine, ainsi que la vaisselle.
Une porte située au fond de la pièce principale s'ouvrit et Marie aperçut dans la pénombre une vielle femme.
Les cheveux blancs tirés en chignon, elle portait des tabliers noirs et une paire de vieux sabots de bois. Elle s’appelait Sophie et c’était la femme de Marco.
« Regardes qui vient d’arriver ! » dit Marco à sa femme.
« Poses ton panier et tes affaires sur la table petite, tu dois être fatiguée, veux-tu quelque chose à boire ou bien a tu envie de manger ? » Demanda Sophie à la petite.
Marie, apeurée et intimidée par tant de nouveautés, ne réussit qu'à faire « oui » de la tête.
« Tu as donc perdu ta langue ? »
Demanda Marco. Marie ne savait pas quoi dire. Sophie partit chercher un bout de pain et un morceau de fromage, avec un grand verre de lait. Quand Marie eu finit de manger, Sophie la conduisit dans une petite pièce accolée à l'étable :
« Voilà, c'est là que tu dormiras maintenant ! » Dit Sophie en poussant doucement la petite dans la pièce. Elle posa une bougie sur la table, referma la porte et laissa Marie seule dans la pièce sombre.
Marie n'avait alors que cinq ans ! La pièce n'était pas très grande, il y avait une petite fenêtre, une chaise et un lit en bois dont le sommier était fait de paille plus ou moins fraîche.
Quelques couvertures étaient posées là, à même le lit, il y avait aussi un semblant d'oreiller, c'était un carré de tissus rayé, rempli de paille et de vieux chiffons. Dans le fond de la pièce, il y avait un petit meuble bas, qui servirait à Marie pour ranger ses maigres affaires.
Ce lieu peu hospitalier ne devait pas servir très souvent à en juger par la saleté qui régnait. D'immenses toiles d'araignées traversaient la « chambre » de part en part, c'était un peu effrayant, et très dégoûtant. En prime, une épaisse couche de poussière recouvrait le petit meuble et le sol.
Marie rangea ses quelques affaires dans le petit meuble et s'allongea sur le lit.
Elle se mit à penser à tout le temps qu'elle avait passé avec Paula et se demandait ce qu'allait être son avenir chez ces nouveaux gens.
Elle était bien jeune, Marie, elle avait seulement cinq ans et jusqu'à présent, la vie ne l'avait pas beaucoup gâtée. Ses pensées se brouillaient, elle s'endormit sans même s'en apercevoir.
Au petit jour, elle fut réveillée par Marco :
« Allez, lèves-toi, il est l'heure d'aller garder les oies ! ».
Marie sursauta, elle sortit du lit tout en se demandant pendant quelques secondes où elle pouvait bien être ? Et puis tout lui revint en mémoire, alors elle s’habilla rapidement.
Elle fila à la cuisine où Sophie lui servit un bol de soupe chaude et un petit bout de pain. A peine son maigre repas fini, Sophie lui dit :
« Vas dans le champ qui se trouve au bout du chemin, emmènes les oies ainsi que leurs poussins, mais fait très attention aux corbeaux, ils viennent et attaquent les petits poussins pour les manger ! ».
Ainsi commença la nouvelle vie de la petite Marie.
Chaque fois que la petite revenait à la ferme en fin de journée, Sophie sortait de sa cuisine et venait compter oies et poussins.
Jusqu'à présent, le compte était toujours bon, tout le monde rentrait sain et sauf !
« Vas manger ! » Dit Sophie à la fillette, « et dépêches-toi, car, quand tu auras fini, il faudra que tu fasses la vaisselle, et ensuite que tu donnes un coup de balais dans la pièce. Tu iras te coucher seulement quand tout sera fini, tu ne crois tout de même pas que je vais te nourrir à rien faire ! ».
La pauvre enfant était éreintée, ses jambes lui faisaient mal d’avoir tant marché, ce n’était pas si facile de conduire un troupeau d’oies, si une décidait d’aller à droite, toutes les autres suivaient et les poussins aussi. Alors, il fallait remettre tout ce petit monde dans le droit chemin. Et sans parler de peur, il fallait avouer que toutes ces oies étaient impressionnantes, pour une si petite fille !
Marie sentait la fatigue l'envahir aussi, elle se dépêcha de terminer ses corvées, puis elle partit dormir, enfin !
Le lendemain, comme à son habitude, Marie se leva de bonne heure pour aller garder les oies aux champs. Et Sophie, comme tous les jours, lui faisait les mêmes recommandations :
« Fais bien attention aux petits poussins, ne laisse pas les corbeaux les approcher ! »
« Oui madame » répondait à chaque fois la fillette.
Elle prit l’habituel chemin qui l’emmenait chaque jour loin de la maison. Il n'était pas très praticable, ce chemin. Sur les cotés, de grandes ornières creusées et entretenues par les passages quotidiens des engins agricoles se s’emplissaient d'eau chaque fois que la pluie tombait.
Les énormes racines des arbres centenaires entravaient le chemin sur presque toute sa largeur à certains endroits. Il n’était pas toujours facile à marie de marcher ou de guider les oies dans la bonne direction.
Parfois, c'était au beau milieu du chemin qu'il y avait un trou, cela rendait la marche encore plus difficile pour les petites jambes de la fillette.
Toute cette petite troupe avançait tant bien que mal.
Ce jour là, tout semblait aller comme d'habitude, rien ne pouvait laisser supposer qu'un événement inattendu allait se produire. Deux poussins, en retard sur le reste du troupeau, tombèrent dans un des trous du chemin.
Marie, qui marchait en tête, ne s'en aperçu pas tout de suite, elle n’entendit pas les cris des poussins perdus dans le brouhaha des cancans des autres bêtes, elle continua sa route sans souci.
Marie se retourna pour vérifier que toutes les bêtes suivaient. Subitement, elle eut l’impression que le troupeau était moins important que le matin, inquiète, elle compta les bêtes.
Elle compta une seconde, puis une troisième fois, catastrophe, il manquait deux poussins !
Son sang ne fit qu'un tour, elle comprit vite que les deux poussins avaient dû tomber dans un trou. Folle d'angoisse, elle se demandait comment faire ?
Laisser le groupe ici ? Mais il risquait de s'en aller, et pour pouvoir le récupérer en entier, cela prendrait du temps.
Retourner en arrière avec les animaux ? Ce serait bien trop long également ! Il fallait faire vite.
Finalement, elle décida de laisser les animaux sur place, et refit en courant le chemin inverse. A une centaine de mètres devant elle, elle distingua deux formes noires au sol, elle comprit tout de suite le danger, les corbeaux ! Sophie avait dit qu'ils mangeaient les poussins !
Marie se baissa et ramassa quelques pierres qu'elle jeta de toutes ses forces sur les oiseaux tueurs.
Les pierres rebondirent sur le chemin. Effrayés, les deux corbeaux s'envolèrent. Au bout de leurs pattes, pendaient deux petites formes inertes, les poussins !
« Laissez donc mes petits poussins tranquilles ! » criait la fillette aux oiseaux. Mais les deux volatiles continuèrent leur envol.
Marie repartit donc vers le reste du troupeau, elle savait que le danger n'était pas écarté.
Heureusement, tout son petit monde était là, exactement où elle les avait laissés, Marie souffla, elle se sentait un peu soulagée.
La peur passée, la fillette se mit à pleurer à chaudes larmes, comment expliquer ce malheur à Sophie ? Allait-elle être punie ? Battue ? La peur la prit au ventre.
Elle n'osait pas retourner à la maison et ce jour là, Marie mit beaucoup de temps à rentrer. La soirée était bien avancée quand elle franchit la barrière de la ferme. Ce retard inhabituel avait inquiété Sophie qui attendait la fillette sur le pas de la porte :
« Pourquoi rentres-tu si tard ? » Cria-t-elle à la fillette, « tu t'es encore amusée en route ! ». Et Sophie se mit à compter les bêtes.
Surprise de ne pas trouver le compte juste, Sophie recompta à nouveau : pas de doute, il manquait bien deux poussins !
« Marco ! Marco! Viens vite, il manque deux poussins ! » Cria Sophie. L'homme sortit de l'étable, et son regard méchant s'arrêta sur Marie :
« Où sont passés les poussins qui manquent ? » Et sans même attendre une réponse de la fillette, il se mit à la gifler.
Marie murmurait quelques mots que personnes ne comprenaient, ni même n'entendaient. Elle tentait de se protéger le visage, mais Marco la tenait ferment par un bras, et la pauvre enfant ne pouvait presque pas bouger. Elle était si légère dans les grosses mains de l’homme qui la tenait.
Marco devenait de plus en plus brutal, il retira sa grosse ceinture de cuir, et se mit à fouetter la petite sur les cuisses, sur les fesses.
L'homme frappait très fort, et en plusieurs endroits, la peau fine de l'enfant avait éclatée et le sang coulait, mais Marco, enfermé dans sa folie ne s'en aperçu même pas et continua sans pitié à frapper la pauvre fillette, qui maintenant, criait de toutes ses forces sous la douleur. Elle réussi enfin à se dégager, et s'enfui pour se cacher dans sa chambre.
Sur son lit de misère, la pauvre enfant n'arrivait pas à trouver une position qui la soulagerait quelque peu, juste le fait de bouger la faisait hurler de douleur, mais de rester immobile était encore pire.
Tout son petit corps n’était plus que plaies et boursouflures. Elle avait froid, soif d’avoir tant pleuré et faim aussi.
« Qu'est-ce que j'ai bien pu faire au Bon Dieu pour que les gens soit si cruels avec moi ? » Se demandait la fillette, en larmes.
Désespérée, elle appelait sa maman :
« Maman, maman, où que tu sois, viens me chercher, je ne veux plus rester ici, je t'en prie maman, viens vite ! ».
Ses pensées, ses souvenirs la calmaient doucement et peu à peu, elle s'endormit.
Quand elle se réveilla le lendemain matin, elle ressentait de la douleur sur tout son corps. Péniblement, elle se leva et se rendit à la cuisine pour essayer de laver un peu tout ce sang. Elle n’avait que de l'eau pour nettoyer ses vilaines blessures.
Pendant la nuit, le sang avait séché, formant une petite croûte difficile à enlever. Dessous, la chair était à vif.
Pendant plusieurs jours, la petite nettoya avec insistance ses blessures, mais ses plaies s'infectaient malgré tout et Marie eut de la fièvre.
Le sang coulait presque continuellement des plaies et attirait les mouches. Elles venaient boire le sang et déposer leurs œufs dans les blessures.
Les plaies étaient infectées d'asticots grouillants en tous sens.
Marie était terrorisée devant toute cette vermine grouillant dans son propre corps. Elle s’imaginait qu’ils étaient en train de la dévorer vivante et qu’un matin, elle serait morte, mangée de l’intérieur. Elle passait son temps à nettoyer ses blessures, mais plus elle retirait de ses abominables vers, plus il y en avait ! C’était un vrai cauchemar.
Pourtant, il fallait continuer à se lever et à mener les oies aux champs, à faire toutes les corvées données par Sophie ou Marco. D'ailleurs ceux-ci, malgré les souffrances visibles de la fillette, ne lui épargnaient rien.
Marie marchait à grande peine derrière son troupeau, elle boitait et chacun de ses pas la faisait souffrir.
Elle s'arrêta au bord du chemin, pour reprendre son souffle et essuyer ses larmes. Elle pleurait souvent ces jours-ci, Marie.
Occupée à sécher ses yeux gonflés, Marie n'avait pas entendu une jeune femme arriver.
« Qu'est-ce qu'il y a petite ? Tu boites ? Montres-moi ! » Dit la jeune femme en s’accroupissant devant l’enfant.
« Mais tu saignes ! Attends que je regarde ça ; Oh ! Pauvre petite enfant ! Viens, jusqu’à la rivière, je vais te nettoyer tout ça ! ». Et, la jeune femme, qui était une des voisines de Marco et Sophie, guida la petite jusqu'à une source.
Quand la jeune femme s'approcha des jambes de la petite, elle ouvrit de grands yeux, mi-étonnés, mi-dégoûtés et s'écria :
« Quelle horreur ! Mais, c'est plein d'asticots là dedans ! ».
« Non madame Mathilde ! Non, s'il vous plait, je ne veux pas, je ne peux pas rester avec vous, les corbeaux vont manger les poussins, et Madame Sophie et Monsieur Marco seront très fâchés contre moi ! » Et, sans plus attendre, la fillette repartit au plus vite avec son petit troupeau.
Agacée par tant d’inconscience et de méchanceté, la gentille Mathilde décida d'aller frapper chez Marco et Sophie.
« Bonjour Mathilde ! » Dit Marco à la jeune femme,
« Quel vent t'amènes chez nous ? » Demanda t-il.
Furieuse, Mathilde répondit :
« Vous avez vu la petite Marie comme elle est malade ? Vous avez vu ces plaies pleines d'asticots ? Vous n'avez donc pas de pitié pour cette enfant ? Ce n'est pas parce qu'elle n'a plus de parents, que vous avez le droit de lui faire subir cela ! ».
Mathilde n’en revenait pas, ils n’avaient même pas l’air de comprendre ! Elle se remit à crier devant la porte, alertée, Sophie arriva et demanda :
« Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Qu’est-ce qu’elle fait là ? Pourquoi crie-t-elle comme ça ? » Demanda-t-elle à son mari.
« Vous non plus, vous n'avez pas honte ! » Continua Mathilde en s'adressant à de Sophie.
« Dieu vous punira sévèrement pour tout ce que vous faites subir à cette pauvre enfant ! » Et, sur ces mots, Mathilde claqua la porte et sorti de la ferme.
Le soir venu, Marie rentrait en boitant dans la cour de la ferme, épuisée, quand Marco l'appela :
« Viens ici, Marie ! ».
Le ton n’était pas agressif, mais Marie n’était pas tranquille.
Apeurée, la fillette s'était mise à pleurer car elle croyait que Marco allait encore la frapper, elle avait tellement peur.
« Allez viens, viens me faire voir tes jambes ! » Dit Marco presque gentiment, puis, se tournant vers sa femme :
« Vas me chercher la bouteille d'alcool que je lave toute ces vilaines blessures ! » Marco lava les plaies de la petite fille en asseyant de ne pas trop lui faire mal, mais c'était tellement sale !
Ensuite, Sophie apporta pour Marie, un bol de soupe bien chaude.
Un peu étonnée de ce soudain changement de comportement, Marie avala sa soupe et fatiguée, partit se mettre au lit.
La tête à peine sur l'oreiller, elle s'endormit d'un sommeil lourd, chargé de cauchemars.











Chapitre 3










Le temps est passé, les plaies se sont refermées.
Marie grandissait, elle avait sept ans maintenant. Malgré le temps écoulé, une seule pensée revenait sans cesse. Elle espérait toujours s’enfuir, partir loin, très loin d‘ici.
Mais où aller quand on est seule et si jeune ?
Avec le temps, on lui avait confié d'autres travaux à la ferme, comme elle était plus âgée, c'est un troupeau de vaches qu'elle menait maintenant aux pâturages. Le pré était situé à une bonne demi-heure de marche et le soir Marie ne rentrait jamais avant le coucher du soleil.
Les journées étaient longues et monotones, mais elle était dehors et seule toute la journée, loin de ces tortionnaires qui avaient fait d'elle leur souffre-douleur.
Une nuit, un énorme orage avait éclaté, et la pluie abondante n'avait cessé de tomber jusqu'au petit matin.
A l'aube, Marie prit un vêtement pour se protéger de la pluie froide, attrapa son maigre déjeuner, rassembla son petit troupeau et mena toutes les vaches au pré.
La pluie diluvienne n'avait pas arrangé l'état désastreux du chemin dont les trous étaient devenus des mares. Le reste du chemin s’était transformé en une sorte de bouillasse, collante et gluante. Après quelques mètres sur ce chemin de boue, les vaches ne voulurent plus avancer. Les fossés étaient remplis d'eau sur plusieurs mètres de long et les sabots des bêtes étaient englués de boue.
Marie essaya malgré tout d'engager son troupeau sur ce chemin, à grands cris et à coups de bâton, mais les bêtes refusaient d'avancer.
Soudain, comme prises de panique, toutes les vaches prirent un sentier qui menait droit sur un joli champ de blé.
Marie comprit tout de suite le danger. Elle courut après les vaches qui maintenant avançaient dans le champ en piétinant tout le blé. A bout de souffle, impuissante devant ces bêtes, Marie se mit à pleurer.
Aussi soudainement qu'elles s'étaient emballées, les vaches quittèrent le champ de blé pour retourner sur le chemin. Mais le propriétaire du champ qui était venu voir si toutes ces pluies torrentielles n'avaient pas détruit son blé, s'était caché pour observer la scène. Il avait tout vu !
Quand Marie passa près de lui, l'homme bondit de sa cachette, attrapa le bras de Marie et furieux, frappa la fillette avec sa canne :
« Tu viens de saccager tout mon champ de blé, il va falloir payer ! » Dit-il.
Marie trébucha et tomba sur le sol mouillé, l'homme continuait de la battre sans ménagement, il visait la tête, et Marie essayait de se protéger avec ses bras, mais plusieurs coups atteignirent leur but, et le sang commença à lui brouiller la vue.
Marie criait, implorait l’homme, Dieu, sa maman et son papa, de venir à son aide. Elle n'avait plus envie de vivre et l'espace d'un instant, Marie, âgée d’à peine huit ans, pensa que la mort serait plus douce que cette vie de misère.
Satisfait d'avoir battu la fillette et d'avoir ainsi assouvi sa vengeance, l'homme lâcha la fillette et lui dit :
« Vas-t-en ! Et si tu ne fais pas plus attention à tes bêtes, je reviendrais encore te donner une correction dont tu souviendras longtemps ! ».
Puis il partit en laissant l’enfant allongée sur le sol, à demi inconsciente couverte de boue et de sang.
Marie qui réussit à se relever péniblement, essaya de retrouver ses vaches en pleurant.
Mais pendant que l'homme la battait, les bêtes, affolées par les cris de l'enfant et ceux de l'homme, étaient rentrées seules à l'étable.
Peu après les vaches, quand Marie arriva à la ferme, elle rencontra Marco énervé de ne pas comprendre ce qu'il se passait et qui venait aux renseignements :
« Qu’est-ce que tu as encore fait ? Je te loge, je te nourris et toi, tu ne penses qu'à t'amuser ! Regarde un peu dans quel état tu es ! Pleine de boue, et de sang ! Allez files te laver ! » Et, au passage, il lui administra une gifle qui failli faire tomber la fillette.
Le soir venu, Marie mangea du bout des lèvres et partit aussi vite que possible se coucher.
Dans son petit lit, pas très confortable, Marie se tournait d'un côté, puis de l'autre, sans parvenir à trouver une position qui soulagerait un peu ses nouvelles blessures, elle avait très mal à la tête et comme chaque fois qu'elle souffrait dans son corps ou dans sa chair, Marie ne parvenait pas à s'endormir.
Cette nuit là, Marie fut réveillée plusieurs fois par la douleur.
L'aurore commençait à éclairer la chambre par la petite fenêtre et Marie savait que dans quelques instants, Marco allait venir frapper à sa porte pour qu'elle se lève.
Elle aurait bien aimé rester encore quelques heures sans bouger, au chaud sous les couvertures. Elle était très fatiguée de sa mauvaise nuit.
Après un bref déjeuner et une rapide toilette, Marie prit un peu à manger, quelques affaires et partit sortir les vaches.
Elle emprunta le même chemin que la veille et cette fois, arrivée devant le champ de blé, elle se plaça entre le sentier du champ et les vaches, comme ça, aucun risque que les bêtes retournent dans ce maudit champ !
Elle n'avait aucune envie de renouveler l'expérience de la veille. Elle marchait lentement, la nuit avait un peu calmé ses blessures, mais maintenant qu'elle bougeait, sa tête la faisait de nouveau souffrir, et ses jambes aussi.
A la croisée d'un chemin, Marie vit une dame qui marchait dans sa direction, ce n'était pas souvent qu'elle rencontrait quelqu'un à cet endroit.
La jeune femme regarda passer Marie, leurs deux regards se croisèrent, celui de la femme s'attarda longuement sur la fillette. Quelque chose l'intriguait, visiblement.
Elle s'approcha légèrement de Marie et lui dit d'une voix douce et claire :
« Bonjour petite ! » dit-elle. « Tu n'as pas l'air bien en forme, tu as l'air de souffrir, qu'est-ce que c'est que toutes ces traces que tu as ? Tu es tombée ? » Marie, gênée, baissa la tête et sans répondre, poursuivit son chemin. Mais la jeune femme la rattrapa, se mit devant elle et dit :
« Tu es dans un triste état, on t'a battue ! Tu ne veux rien me dire ? Où habites-tu ? » Après un long silence, épuisée, Marie éclata en sanglots.
Enfin quelqu'un qui avait un peu pitié d'elle !
« Oh, Madame ! Comme je suis malheureuse ! Je veux partir d'ici, mes maîtres sont méchants avec moi, ils me battent, mais je ne sais pas du tout où je pourrais aller ! Je n’ai plus de famille ! ».
D'un trait, Marie avait débité toute sa phrase.
« Comment t'appelles-tu ma petite chérie ? » demanda la jeune femme
« Marie ! » répond l'enfant
« Moi, c'est Sonia ! Ecoutes moi Marie, tu ne peux pas continuer à vivre dans ces conditions, il faut que tu partes, et j'ai une idée. Je vais t'emmener chez ma sœur, si tu veux bien ? Elle habite très loin d'ici, mais elle vit seule, elle cherche quelqu'un pour l'aider dans son travail de la ferme. Dis-moi si tu le veux, et nous irons ensemble chez elle.».
Marie réfléchit un instant, et si c'était la chance qu'elle attendait depuis si longtemps, enfin pouvoir partir d’ici ! Il fallait essayer !
« Oh ! Oui, Madame je veux bien partir loin, très loin d'ici, et le plus tôt possible ! S’il vous plaît ! » S’exclama la fillette.
« Alors, écoutes bien ce que je vais te dire maintenant ! » Dit Sonia.
« Quand tu auras rentré les vaches, que tu auras fait toutes tes corvées, fais semblant d’aller te coucher, et dès que possible, viens aussitôt chez moi, voici le chemin ! ».
Sonia indiqua bien clairement à Marie où se trouvait sa maison.
Après un long regard, elles se séparèrent, chacune continuant sa route.
Pendant que les vaches broutaient, Marie ne cessait de repenser à toutes ces paroles d'espoir que lui avait dites Sonia, et un million d'idées se bousculaient dans sa tête, elle en avait oublié la douleur de ses membres.
L'espoir de vivre différemment, d'avoir une existence meilleure lui redonna le sourire. La journée semblait interminable. Enfin, le coucher du soleil ! L’heure de rentrer les vaches.
Elle rentra les vaches à l'étable, fit une petite toilette, dîna rapidement et entrepris de faire toutes ces corvées quotidiennes.
Comme c'était difficile de ne pas sourire, de rester naturelle et de faire comme tous les jours ! Marie était tellement impatiente, qu'elle avait peur que cela se voit sur son visage.
Enfin, elle était seule dans sa chambre, mais prudemment, elle fit exactement comme d'habitude, de peur qu’on ne l’espionne. Elle retira son tablier, sa robe et ses sabots et s'emmitoufla dans les couvertures. Attendant impatiente, que chaque bruit de la maison s'arrête, que chaque lumière soit éteinte et que le chien soit enfermé au chenil.
L’attente lui parut interminable, mais elle était tellement excitée, qu’elle ne risquait pas de s’endormir !
C'était la dernière fois qu'elle s'allongeait dans ce lit. Elle regardait autour d'elle, comme pour graver chaque centimètre de la chambre dans sa mémoire. Étrange !
Elle attendit encore longtemps, pour être bien sûre que tout le monde dormait. Vers minuit, elle attrapa fébrilement son châle de laine, ses quelques affaires, un morceau de pain mis de coté, noua l'ensemble pour en faire un baluchon qu'elle mis sur son épaule.
Avec mille précautions, elle ouvrit tout doucement la porte de sa chambre. La porte de la liberté !
Elle fit un pas dehors et s'arrêta retenant son souffle, l'oreille tendue.
Rien ! Aucun bruit, tout était calme. Alors seulement, elle sentit l'air frais de la nuit lui caresser le visage, le ciel était plein d'étoiles, et une grosse lune blanche éclairait les bois et les prés.
Précautionneusement, elle referma la porte de sa prison et elle s'élança à toutes jambes hors de la ferme. Elle était enfin libre !
Elle attendit d’être assez loin pour remettre ses sabots, puis, elle se mit à courir.
Elle courut, courut encore, sans se retourner, ces petites jambes ne sentaient plus la douleur, son cœur battait fort dans sa poitrine. Elle aurait voulut s'arrêter pour respirer un peu, mais la peur de se faire attraper le lui interdisait.
A bout de souffle par un poing de coté, Marie ralentit enfin sa course et fit une petite pause. Elle continua son chemin un peu moins vite en se rappelant bien toutes les consignes de Sonia.
Au travers d'une fenêtre, Marie aperçut de la lumière. Qu’elle était douce et chaude cette petite lumière ! Essoufflée, elle frappa et la porte s'ouvrit.
Sonia souriante et accueillante, tenait une bougie à la main.
« Rentres vite à l’intérieur ! » Dit-elle simplement à la fillette.
Sonia referma la porte, pausa son bougeoir sur un joli meuble et s'accroupit devant la fillette.
« Tu as réussi, tu es venue, personne ne t'a suivie au moins ? » Demanda-t-elle, puis elle prit la petite dans ses bras pour la serrer très fort. Surprise, Marie ne savait pas comment réagir, il y avait si longtemps qu'elle n'avait pas eut de câlin.
La fillette s'agrippa aux bras de Sonia, et éclata en gros sanglots longs et tristes, comme si elle voulait évacuer d'un seul coup toutes ses années de souffrances, elle n'arrivait pas à s'arrêter.
Sonia, comprenant la réaction de la fillette, attendait patiemment que la petite se calme, la serrant tendrement dans ses bras si doux et si forts aussi.
Epuisée par ses larmes mais heureuse, Marie s'endormi tout contre Sonia.
Cette nuit là, Marie rêva de retrouvailles avec ses parents, de jardins, de fleurs et d'arbres pleins de fruits juteux, de soleil, d'herbe tendre et de ciel bleu.


Le lendemain matin à la ferme, Marco frappa comme chaque jour à la porte de la fillette :
« Lèves-toi feignante, tu crois pas que tu vas rester au lit jusqu'à midi, tout de même ! ».
N'obtenant pas de réponse, Marco ouvrit furieusement la porte de la chambre, PERSONNE !?!?
Le lit était vide, le tiroir de la commode ouvert, et…vide :
« Où a-t-elle bien pu passer encore ! » gronda-t-il
« Marie ! Viens ici ! Je sais que tu te caches ! » Cria-il plusieurs fois, puis, il appela sa femme :
« Femme, as-tu vu la petite peste, elle n'est pas dans sa chambre ? »
« Non, je ne l'ai pas encore vu ce matin » répondit Sophie,
« Je t'avais bien dit que c'était une fainéante, et une traînée, c'est comme ça quand on est trop gentil, on était trop bien pour elle, et voilà comment elle nous remercie pour tout ce qu'on a fait pour elle. Et maintenant, elle est partie, elle avait pourtant tout ce qu'il lui fallait, qu'est ce qu'elle voulait de plus ? et qui va garder les vaches ? »Demanda Sophie.
« Je vais aller voir ma cousine Paula, la petite est sûrement retournée là-bas, mais qu’est-ce qui à bien pu lui passer par la tête à celle là ! » Dit Marco.
Il attela son cheval et parti sur-le-champ chez sa cousine Paula.
En entendant la charrette approcher, Paula sortit sur le pas de sa porte : « Marco ? Quel bon vent t'amènes ? Comment vas-tu ? Et Marie ? »
« Ca va, et puisque tu parles de Marie, je viens voir si elle n'est pas chez toi par hasard ? La bourrique s’est sauvée ! »
Paula resta bouche bée :
« C'est pas vrai ! Ce n’est pas possible ! Comment a-t-elle pu désobéir et partir de chez toi ? Pour aller où ? »
« Je sais ! Je ne comprends pas non plus, elle avait pourtant tout ce qu'il lui fallait chez nous, et puis elle ne travaillait pas beaucoup ! Et voilà comment on est remercié, mademoiselle s'enfuit pour aller chez quelqu'un d'autre ! Je ne comprends rien ! » Dit Marco.
« Bon, eh bien tant pis, je vais rentrer chez nous, elle est peut-être là-bas, Au revoir Paula, a bientôt ! » Ajouta Marco, puis il repartit sans rien dire d’autre.
Paula resta un instant pensive sur le pas de la porte, se gratta la tête, puis fini par hausser les épaules et rentra chez elle.






















Marie resta plusieurs jours chez Sonia, car à cette époque (1917-1918), les trains ne passaient pas tous les jours, ils ne passaient que deux fois par semaine, il fallait attendre.
La petite en profita pour se reposer un peu, et reprendre des forces. La vie chez Sonia n'avait rien de comparable avec ce qu'elle avait connu depuis le départ de son père.
Ici, tout était propre et rangé, et même si Marie travaillait aussi pour aider Sonia, il n'y avait jamais de cris et encore moins de coups, Sonia disait sans cesse à Marie qu'elle était bien gentille et bien courageuse ! La fillette était aux anges, alors elle travaillait d'avantage, juste pour faire plaisir à sa nouvelle amie.
Marie évitait tout de même de sortir pendant la journée, pour ne pas éveiller les soupçons, On devait la chercher partout à la ferme de Marco, mais peu importait, elle était décidée à partir, et maintenant, elle avait une grande personne pour la protéger.
Marie se sentait si bien, chez Sonia, cette dernière lui avait même fait une robe à partir d’une des siennes, c’était une robe toute simple, bleue marine, mais elle était neuve pour Marie et surtout toute propre !
Elle aurait bien voulu rester pour toujours chez Sonia, mais ce n'était pas possible, la fillette savait qu'il fallait partir loin, très loin pour pouvoir recommencer une autre vie.















CHAPITRE 4







Marie ne savait pas exactement où elle partait, elle savait juste que c'était très loin. Le trajet en train dura plusieurs jours, c'était long, et le train s’arrêtait très souvent et restait immobile pendant des heures ; Mais, quand enfin il s'arrêta, Marie, malgré sa grande fatigue, bondit comme un ressort pour sortir et découvrir ce qu'il y avait dans ce nouveau « pays », sur une pancarte accrochée au mur de la petite gare, elle lut à haute voix :
« Bourgue ! »
« Nous sommes à Bourgue ? » demanda la fillette
« Oui, c’est bien ça ! Mais ma sœur n‘habite pas ici, c‘est un autre village, un peu plus loin, il s‘appelle Slavonski Brod ! » Lui répondit Sonia avec un sourire.
Elle avait hâte de rencontrer la sœur de Sonia, de savoir de quoi elle avait l'air, pourtant, étrangement, sans même l'avoir jamais vu, Marie sentait qu'avec cette nouvelle « patronne », elle serait bien, en sécurité, Bien sur elle était un peu intimidée, mais pas du tout apeurée, c'était un sentiment très agréable !
La nouvelle dame était là, sur le pas de la porte, un grand sourire éclairait son visage, on voyait bien qu'elle attendait les deux visiteuses.
Devant ce visage si doux, Marie su tout de suite qu'ici, elle serait bien :
« Dis-moi quel est ton nom ? » Demanda la dame à la fillette, sa voix était douce comme du miel.
« Marie ! » Dit-elle timidement
« C'est un bien joli prénom, il te va très bien, moi, c'est Anna, je suis la sœur de Sonia, sa sœur aînée, et elle m'a tout raconté à ton sujet, pauvre enfant ! Mais tout est fini maintenant, il faut oublier tout ça, et n'ait pas peur, tu verras, ici tu seras bien. Je suis seule et j'ai besoin que quelqu'un m'aide pour les travaux de la ferme et de la maison, et puis j'ai besoin d'un peu de compagnie. ». Anna avait dit tout ça en regardant la fillette droit dans les yeux, comme pour lui faire comprendre qu’elle ne mentait pas.
Marie se sentit soulagée par ces mots, personne ne lui avait jamais parler aussi gentiment depuis son papa Luc (sauf Sonia, évidemment !).
« Vous êtes trop gentille, Madame Anna, je ferais tout ce que vous me demanderez car je ne veux pas retourné là-bas, chez Marco, c'est un méchant homme, il me frappait tous les jours, sa femme Sophie aussi, ils disaient que j'étais fainéante, ils n'étaient jamais satisfaits de moi, pourtant, je vous jure Madame Anna, que ce n'est pas vrai, je faisais toujours tout ce qu'ils me demandaient ! »
« Oh ! Oui, j'en suis sûre » répondit Anna
« Ma sœur Sonia m'a tout expliqué, et à mon avis Marco et sa femme sont des malades. Je te promets que tu ne retourneras jamais là-bas ! Allez ! Maintenant, on va préparer une bonne soupe, et quand tu auras mangé, je te montrerais ta chambre et tu pourras te reposer, car je suis sûre que tu es très fatiguée ! ».
Anna pris Marie par la main.
Qu'il était doux ce contact, pourtant, elle avait les mains rugueuses Anna, à causes des travaux dans les champs et de la lessive sans doute.
Anna conduisit Marie dans un petit potager impeccablement entretenu et lui dit :
« Nous allons ramasser des légumes tout frais pour faire la soupe ! Tu veux les choisir ? Lesquels veux-tu dans la soupe ? ».
Les légumes ramassés et lavés, elles allèrent au poulailler ramasser des œufs.
Anna dit encore :
« Viens, nous allons donner à boire et du foin aux vaches ! ».
Marie suivait sa nouvelle patronne en trottinant, elle était ravie, tout était calme et propre, même dans l'étable, ça ne sentait pas mauvais.
« Maintenant, on va aller manger cette fameuse soupe, puis nous irons nous coucher ! » dit Anna.
« Demain je t'expliquerais quelles seront tes tâches, et n'aies pas peur, si tu n'y arrives pas seule au début, je t'aiderais jusqu'à ce que tu puisses te débrouiller seule, j'aimerais que tu te sentes bien chez moi ! ».




A mesure que le temps passait, Marie apprenait beaucoup au contact d'Anna, elle avait appris à cuisiner, à repasser, à coudre, à travailler dans les champs, et à tenir une maison propre.
Marie aimait beaucoup cette vie calme et ordonnée, elle grandissait et s'épanouissait bien.
La vie s'écoulait doucement dans le bonheur.
Maintenant, Marie avait 15 ans, c'était une très jolie jeune fille, un peu mince, mais bien faite.
Quand elle menait les vaches aux prés, Marie traversait le village par le sentier principal, et de ce fait, passait devant plusieurs maisons.
Elle s'arrêtait alors pour bavarder avec ses voisins, tous connaissaient Marie, ils l'avaient vu grandir, et ils savaient tous d'où venait « la petite Marie », et quels enfers elle avait traversé avant d'arriver chez Anna, et tous, ils admiraient le courage de la jeune fille.
Elle avait tourné la page depuis bien longtemps, Marie, c'était il y a si longtemps lui semblait-il, elle était si jeune alors, et, si les principales douleurs et blessures étaient gravés à jamais dans sa mémoire, la plus part de ses souvenirs d'enfant s'étaient effacés avec le temps, et c'était tant mieux pour elle !
Un jour, en passant devant chez sa voisine, Marie aperçue devant le portail, une femme étrangère.
Les deux femmes semblaient se connaître, elles étaient en grande discussion, en passant, devant elles, Marie les salua :
« Bonjour mesdames ! » Et elle poursuivit son chemin.
« Qui est cette enfant ? Elle est ravissante ! » Demanda l'étrangère d'une voix triste, la voisine lui raconta :
« La gamine vient de très loin, elle était toute petite quand elle est arrivée ici, 6 ou 7 ans je crois, elle n'a plus de famille semble-t-il, sa mère est morte quand elle avait deux ans, et son père n'est jamais revenu de la guerre, on ne sait même pas s'il est mort ou en vie, il s'appelait… Halki je crois, oui, c'est bien ça, c’est la fille de Luc Halki ! ».
Un long silence suivit cette déclaration, l'étrangère semblait plongée dans ses pensées, d'un seul coup, elle demanda :
« Tu m'as bien dit que cette petite est la fille de Luc Halki !? », elle épela : « H.A.L.K.I ? »
« Oui, je crois que ça s’écrit bien comme ça, pourquoi ? » demanda la voisine
L'étrangère qui s'appelait Thérèse repris :
« C'est étrange, je connais un homme qui s'appelle Luc Halki, il habite dans un village assez loin d'ici, à Kaniza et il n'est pas mort ! Je l’ai vu le mois dernier ! Où travaille la petite ? »
La voisine répondit aussitôt :
« Elle est chez Anna Suzniac. Marie y travaille depuis plusieurs années maintenant, et je te certifie que la petite y est comme chez elle, Anna est une vraie mère pour elle ! »
« Je ne te dis pas que la petite est malheureuse ! » repris Thérèse,
« Mais tu ne crois pas qu'elle serait mieux si elle retrouvait un membre de sa famille, de sa vraie famille ? »
« Tu as sans doute raison ! » Conclu la voisine, et la conversation continua sur d'autres sujets.
Dans le train qui la ramenait chez elle, Thérèse réfléchissait intensément, finalement, elle décida qu'elle irait voir ce Luc Halki le plus tôt possible.
En arrivant chez elle, Thérèse demanda à son mari Téri :
« Tu ne devineras jamais qui j'ai vu aujourd'hui au village de Bourgue, tu sais, chez ma Cousine ! »
« Et qui as-tu vu de si important chez ta cousine, pour que ça te mette dans un état pareil ? » demanda moqueusement Téri
« Tu connais Halki ? Ce Luc Halki, autrefois avait une petite fille, Marie, mais quand il est revenu de la guerre, sa maison était vide, sa deuxième femme et sa petite fille n'étaient plus là, et depuis, il les cherche partout ! »
« Et alors ? » demanda Téri
« Et alors ! » répondit Thérèse,
« Et bien c'est justement la petite Marie que j'ai rencontrée aujourd'hui, maintenant, c'est une belle jeune fille, elle à 14 ou 15 ans, il me semble ! »
« Alors ce Luc cherche sa fille partout depuis des années, et toi, tu la rencontre en allant chez ta cousine ! » rétorqua Téri
« Eh oui ! » répondit triomphalement thérèse.
« Tu es sûre de ce que tu viens de me dire ? » Demanda Téri abasourdi, « absolument sûre ? »
« Sure et certaine, je sais même le nom de la dame chez qui elle habite ! »
« Incroyable ! C’est vraiment incroyable ! Et ce pauvre homme qui cherche sa fille depuis si longtemps ! » Répondit Téri.
« Demain, » poursuivit Thérèse,
« Nous irons chez ce Luc Halki, et nous lui dirons la bonne nouvelle ! »
Le lendemain, tôt le matin, Thérèse et Téri attelèrent leurs chevaux et se rendirent chez Luc.
Quand ils arrivèrent, la matinée était déjà bien avancée, ils virent Luc occupé dans son jardin :
« Bonjour Luc ! » dit Téri
« Bonjour Téri, bonjour Thérèse ! Où est-ce que vous allez comme ça ? »
« Mais ici, chez toi, nous venons t'annoncer une nouvelle incroyable ! »
« Ce n'est pas une mauvaise nouvelle j'espère ? Mais entrez donc ! » Les invita Luc
« Asseyez-vous, je vous sers un café ? » Demanda Luc
« Allez, dites moi vite cette nouvelle si incroyable ! »
« Voilà! » commença Thérèse en cherchant ses mots,
« Si je me souviens bien, tu avais une petite fille, et quand tu es rentré de la guerre, elle n'était plus chez toi, c'est bien ça ? »
« Oui ! » Dit Luc d'une voix blanche
« Et alors ? Je la cherche encore aujourd'hui, mais bizarrement, personne ne sait rien, elle a complètement disparu de la surface de la terre ! »
« Je vais te dire ! » Repris triomphalement Thérèse,
« Je SAIS où est ta fille ! »
Luc pâlit, il tira une chaise et se laissa tombé lourdement dessus, assommé par la nouvelle
« Elle est vivante ! » enchaîna rapidement la jeune femme en voyant Luc pâlir encore,
« C’est même une très jolie jeune fille ! Elle est en pleine forme ! »
Luc releva la tête, comme s'il venait de comprendre enfin la signification de ce que lui disait Thérèse, il dit :
« Qu'est-ce que tu viens de me dire ? Tu sais où est ma fille Marie ? Tu l'as vue ? Quand ? Où ? Mais parles vite, dis moi vite où elle est ? »
D'un seul coup, ce triste et ordinaire jour d'automne s'était transformé en jour d'été, jamais le soleil n'avait brillé autant, aux yeux de Luc, jamais l'air n'avait été aussi doux, aussi léger.
« Tu es bien sûre que c'est Marie ? Qu’elle est vivante ? Dis-moi où est ma petite fille, s'il te plait Thérèse, dis-le moi vite » s'impatientait Luc.
« Oui, je viens de te le dire, c'est bien Marie, c'est certain, je l'ai vue moi même et elle va bien. Je vais te donner l'adresse et le nom de la femme chez qui elle habite. J'ai été chez ma cousine, tu connais le village de Bourgue ? C’est à 150 kilomètres d'ici. Quand tu es là-bas, tu vas jusqu'au village de Slavonski Brod. C'est un tout petit hameau juste à coté. Là-bas, tout le monde se connaît, tu n'auras qu'à demander Madame Anna Susniak, ta fille est chez elle ! ».
Luc avait noté bien soigneusement tout ce que lui avait dit Thérèse, il lui avait fait répéter plusieurs fois pour être bien certain d’avoir tout noté.
Il était très ému, et ne savait pas trop quoi dire. Il remercia chaleureusement Téri et Thérèse qui repartirent chez eux, heureux d'avoir fait une si bonne action.
Le soir venu, Luc essaya en vain de dormir, mais trop de questions lui trottaient dans la tête :
Comment est-elle ?
Va-t-elle me reconnaître ?
Va-t-elle vouloir rentrer avec moi ? Ou préférer rester chez cette Anna ?
Finalement, pris dans un tourbillon de pensée, Luc s’endormit sans s’en apercevoir.
Luc attendait impatiemment qu'arrive le jour de départ du train, encore 2 jours ! C’était long, très long !
Il ne cessait de penser, de repenser et de revoir les images du passé, Marie à deux ans, sa femme si douce, leur jolie maison si propre et toute fleurie. Et, son départ pour cette maudite guerre, il entend encore les cris de sa fillette résonner dans sa tête et les pleurs de sa seconde femme Paula.
Paula, Pourquoi Marie n'était-elle pas resté avec elle, elle était sa belle-mère pourtant.
Luc était resté très longtemps absent, presque 8 ans, et à son retour, bien des choses avaient changées. Sa maison était vide et abîmée, personne ne semblait savoir ce que les deux habitantes de cette demeure étaient devenues.
Le jour du départ était enfin arrivé, et Luc sur le quai de la gare s'impatientait, comme un enfant, il faisait les cent pas en attendant le train.
Enfin installé, Luc regardait le paysage défilé à grande vitesse par la fenêtre du train.
Le trajet lui parut interminable, mais enfin, il arriva et descendit du train. Il avait encore une petite dizaine de kilomètres à faire avant d'arriver au village, sans perdre de temps, il se mit en route, à pieds.
En arrivant aux abords de Slavonski Brod, il s'arrêtait devant chaque maison, pour demander où habitait Mme Susniak Anna.
Enfin, un homme lui répondit :
« Marchez encore 1 kilomètre, et vous arriverez devant une jolie maison, devant, il y a plein de fleurs, c'est là qu'habite Anna ! Il y a aussi la petite Marie, c'est une bien jolie et bien gentille jeune fille, cette Marie ! ».
Le cœur de Luc s'était accéléré, il avait presque du mal à respirer :
« Mais, c'est MA Marie, ma fille, c'est pour cela que je suis ici, pour venir la chercher, ça fait des années que je la cherche, on m'avait même dit qu'elle était morte ! »
« Vous avez de la chance ! » répondit l'homme
« Tout le monde ne retrouve pas sa famille avec cette maudite guerre ! ».
« Merci, merci mille fois, de votre gentillesse ! » Dit Luc
« Mais je suis pressé de revoir mon enfant, alors au revoir et encore merci pour tout ! »Et sans attendre d’avantage, Luc repartit.
L’homme le retarda s’éloigner d’un air triste, lui il ne retrouverait jamais son fils !
Un kilomètre ! Luc le fit presque en courrant, tant il était pressé de serrer sa fille dans ses bras. Il pleurait de joie et les larmes l'empêchaient de voir son chemin, si bien qu'il trébucha et s'étala de tout son long sur le chemin.
Cela le fit rire, il se releva, brossa la poussière de ses vêtements et continua son chemin.
Dans un virage, la maison fleurie apparue !










CHAPITRE 5







A bout de souffle, Luc s'arrêta. Mille questions se pressaient dans sa tête :
Comment va-t-elle réagir ? Va-t-elle comprendre ma si longue absence ? Voudra-t-elle rentrer avec moi ? Elle a grandi ici, depuis combien d'années est-elle là ?
Est-ce que je fais bien de venir ? Ne vais-je pas perturber toute sa vie ?
Pourtant, elle doit savoir que je suis vivant, je suis son père !
Il s'avança doucement.
A chaque pas qu'il faisait, son cœur s'accélérait un peu plus.
Au loin, Luc aperçu une jeune fille qui courrait derrière une vache en criant et en agitant les bras. Plus il s'approchait, plus Luc SAVAIT que cette jeune fille était Sa fille, sa petite Marie chérie, sa princesse !
Marie rentrait ses vaches à l'étable, quand il lui sembla, qu'au loin, un homme, immobile, regardait dans sa direction.
Cette présence inhabituelle, cette silhouette d'homme immobile perturbaient beaucoup la jeune fille, et instantanément, toutes les images douloureuses du passé ressurgirent.
La peur envahie Marie.
D’un pas rapide, elle se dirigea vers la maison où elle serait en sécurité avec la douce Anna.
Elle referma à clé le portail de la cour, mais ne rentra pas à l’intérieur de la maison. Marie était curieuse de savoir où l’inconnu allait.
L'homme avançait maintenant vers elle, plus ils se rapprochaient, plus Marie distinguait le visage de l'inconnu. Il avait un air à la fois heureux et inquiet, il la regardait comme s’il la reconnaissait, ou plutôt comme s’il cherchait à la reconnaître, pourtant, à première vue, cet homme lui était inconnu !
« Marie, ma petite Marie ! » s'exclama l'homme arrivé à quelques mètres d'elle.
Il pleurait en marmonnant des mots que Marie n'arrivait pas à comprendre, cependant, d'instinct, elle savait qu'elle ne devait pas avoir peur.
Elle se rapprocha du portail, mais le laissa fermé, cet homme l’intriguait, pourquoi pleurait-il ?
L'homme essayait en vain d'arrêter le torrent de larmes qui inondait son visage :
« Marie, tu ne me reconnais pas ? » disait l'homme
« C’est moi, ton père, ton papa Luc ! ».
L’homme la regardait semblant attendre une réponse ou une réaction de sa part.
Soudain, comme si un rideau s’était déchiré devant ses yeux, la mémoire revenait par vagues dans la tête de Marie.
La maison, Paula et PAPA LUC !
Elle s'était approchée de l'homme, il avait beaucoup maigri, ses cheveux étaient presque blancs, il avait beaucoup de rides, mais ses yeux, ses yeux eux, n'avaient pas changé, ils brillaient toujours du même éclat, plein d'amour, et puis sa voix, elle était toujours aussi douce et légèrement rocailleuse, Marie s’en souvenait maintenant.
Elle en était bien sûre à présent, c'était bien son papa Luc qui se tenait devant elle, sur ce chemin de village.
« PAPA Luc !?! »
Ce furent les seuls mots que Marie réussit à prononcer. Ses yeux s’emplirent de larmes, ses jambes se mirent à trembler, elle avait du mal à réaliser ce qui se passait.
Les vaches étaient rentrées seules à l'étable, et, au milieu de ce chemin de terre, à la tombée de la nuit, un père et sa fille se retrouvait, enfin !
Luc tout tremblant, pris sa fille dans ses bras, Marie répondu à cette étreinte. Leurs larmes se mêlaient, larmes de joies, et de soulagement aussi.
Aucun d’eux ne pouvait parler, l’émotion était trop forte, seuls, les gestes restaient possibles devant tant de joies.
Luc resserra son étreinte et couvrit sa fille de baisers, il y avait tant de temps à rattraper, presque une dizaine d'années, 8 pour être plus précis, cela faisait longtemps, très longtemps, surtout pour un adulte qui peut compter les années, pour Marie, le temps avait passé différemment, elle avait grandi, et s'était épanouie, à présent, c'était une très jolie jeune fille.
Luc relâcha son étreinte, et se recula légèrement pour regarder sa fille. Il la regarda de la tête aux pieds, sourit et dit :
« Tu es vraiment très jolie ma fille chérie, tu ne peux pas imaginer comme tu ressemble à ta mère ! »
Leur bonheur était immense.
Enfin, les larmes se tarirent. C'était maintenant le temps des questions, et c'est Marie qui posa la première :
« Dis-moi, Papa, où étais-tu tout ce temps ? »
Alors, Luc raconta :
« Pendant la guerre, j'ai été arrêté, et on m'a envoyé dans un camp de prisonniers. Chaque jour, je pensais à toi, chaque nuit, dans ma tête, je te racontais des histoires pour t'endormir. J'imaginais que nous nous promenions tous les deux, il faisait toujours beau, et nous étions heureux. Ces pensées apaisaient mes souffrances.
Je n'avais qu'une hâte, c'était que cette maudite guerre s'arrête pour rentrer chez moi au plus vite.
De penser à toi, de rêver de toi, m'a aidé à survivre, pendant ces 8 longues années de guerre et de captivité. Dès que j'ai pu, je suis revenu à notre maison, mais là, plus personne; la maison était entièrement vide, plus un meuble non plus, et le pire, c'est que personne n'était capable de me dire où tu étais, ni Paula, personne ne savait même si vous étiez vivantes ou mortes.
J'étais désespéré, à quoi bon tous ces rêves et cette liberté si tu n'étais plus là pour les partagés avec moi.
Je n'avais plus goût à rien, la vie elle-même ne m'intéressait plus, petit à petit, je me suis enfoncé dans la solitude et le désespoir. Puis, le temps est passé, et, tant bien que mal, j'ai continué à vivre, à survivre plutôt ! J’ai reconstruit notre maison, dans l’espoir de te revoir un jour. Je suis resté au même endroit pour le cas où tu reviendrais, je n’ai jamais vraiment cessé d’espérer ton retour. Puis je me suis habitué à cette situation, mais dans mon cœur et dans ma tête, tu étais tout le temps là. Pendant les longues nuits d'insomnies, je te parlais, je te racontais des histoires pour tromper un peu cette solitude, jusqu'au jour où, j'ai rencontré une femme qui t'avait reconnue alors que tu emmenais tes vaches au pré.
Elle avait appris des choses sur toi et sur ton passé, et elle
Est venue me le dire.
Au début, je n’arrivais pas à y croire, toi, ma petite fille, ma petite Marie, si près de moi, pendant tout ce temps, tu n'étais qu'à à peine plus de 150 kilomètres de moi. J'ai hésité avant de venir, j'avais peur que ce ne soit pas toi, et alors, quelle déception ! Mais il fallait que je sache si c'était vraiment toi ou non, et voilà, je suis là ! ».
Luc s’arrêta un instant de parler pour reprendre son souffle puis ajouta :
« Mais maintenant, tout ça n'a plus trop d'importance puisque tu es là, avec moi, dis moi Marie, veux-tu rentrer à la maison avec moi ? »
Le cœur de Luc battait à tout rompre
« Oh ! Oui ! Mon Papa, bien sûr que je veux rentrer chez nous ! » S’exclama Marie,
« Mais viens, d'abord à la maison, je vais te présenter Anna, et te montrer où je vis ! ».























Intriguée par les cris et les conversations ininterrompues de Marie et son père, Anna sortit sur la pas de la porte regarda l’étrange duo et demanda à la jeune fille :
« Marie, que se passe-t-il ? Qui est cet homme ? »
Marie arriva en tirant l'homme par la main, elle répondit à Anna :
« C'est mon papa, il est enfin revenu ! »
« Mais, Marie, ton papa est… » Anna ne pu finir sa phrase, Marie l'interrompit et dit d'un trait :
« Oui, je sais Madame Anna, je croyais que je ne reverrais plus jamais mon père, je pensais qu'il était mort à la guerre, mais maintenant, il est là devant nous, et bien vivant ! Il était seulement prisonnier ! ».
Luc s'approcha d'Anna la main tendue et dit :
« Bonjour Madame, je suis Luc Halki, le père de Marie. »
Anna serra la main qui lui était tendue et répondit :
« Enchantée, je suis Anna Suzniac. Mais entrez donc Monsieur Halki, nous n'allons pas rester ainsi au milieu de la cour, venez, entrez !".
Ils s'installèrent dans la cuisine, et Marie servit le Café.
Les conversations allaient bon train.
Luc remercia Anna au moins un milliard de fois, pour sa gentillesse et pour tout ce qu'elle avait appris à Marie (la jeune fille avait tout raconté à son père).
« Je ne sais pas ce qu'elle serait devenue si elle ne vous avait pas rencontrée » dit-il
« Vous savez, c'est surtout grâce à ma sœur Sonia, que Marie est ici, c'est elle qui me l'a amenée, je me souviens comme elle était jeune, alors, et si petite, toute maigre, aussi. C'est plutôt moi qui aie de la chance d’avoir eu Marie près de moi pendant toutes ces années, c’est une très gentille personne, et courageuse, vous pouvez être très fier d’elle. Je suppose que vous allez repartir chez vous maintenant ? »
« Oui » répondit Luc un peu gêné,
« Evidemment, vous êtes la bienvenue chez nous. Chaque fois que vous voudrez voir Marie, vous n'aurez qu'à venir, notre porte sera toujours ouverte pour vous. Vous faites un peu parti de la famille, après tout ce que vous avez fait pour Marie ! ».


Ils restèrent quelques jours chez Anna, mais il fallut repartir, recommencer une autre vie dans l'ancienne maison, que Luc avait réparée tout au long de ces années, juste pour le cas où Marie serait revenue. Finalement, il avait bien fait !
C'était le cœur gros et des larmes plein les yeux qu'Anna regarda partir Marie et son père, elle comprenait, que Marie doive rentrer chez elle, qu'elle doive suivre son chemin et aller vers son destin, sa vie !
Mais la présence de la jeune fille pendant toutes ces années avait été un tel bonheur, et Anna aimait Marie comme ça fille, que le départ de Marie était une grande tristesse, mais pour ne pas briser les retrouvailles de la jeune fille, Anna resta « digne » jusqu’au départ de Marie.
Elle allait se sentir bien seule maintenant Anna dans sa grande maison, la « petite » allait beaucoup lui manquer.
Elle regarda donc partir Marie et Luc, main dans la main, bavardant à qui mieux. Luc portait la petite valise de Marie, elle était assez légère, Marie n'avait pas beaucoup d'affaires.
Une dernière fois, Marie se retourna pour faire un signe de la main à sa si chère Anna. Elle allait être bien seule maintenant, Anna, Marie fut émue, et malgré la joie de rentrer enfin chez elle, son regard se brouilla, et des larmes coulèrent le long de ses joues :
« Au revoir Madame Anna, merci, merci pour tout ! Nous nous reverrons bientôt, c'est promis ! Je ne vous oublierais jamais ! Prenez bien soin de vous et que Dieu vous garde ! » Cria marie, en larmes,
« Au revoir, à très bientôt ! » Répondit Anna en essayant de cacher sa peine.
Puis, Marie tourna au bout du chemin :
« Ça y est, tu es partie ! Au revoir si gentille petite Marie ! A bientôt ! »
Murmura Anna.
Elle se retourna, à présent qu'elle était vraiment seule, elle laissa les larmes inonder son visage :
« Marie, ma petite Marie, tu vas tant me manquer, je t'aime comme ma fille, le sais-tu seulement ? » murmura Anna entre deux sanglots.
Elle renta chez elle et referma la porte.





Tout en marchant, Marie racontait à son père ses années de souffrances chez Marco et sa femme, des années d'humiliations et de privations, de violences aussi, beaucoup de violences.
Luc était horrifié. Comment un homme pouvait-il faire tant de mal à une petite fille ? Comment ? Comment avait-il pus se tromper autant sur la vraie nature de Paula ? Où était elle Paula ? Si jamais Luc la revoyait un jour…
Cela le dépassait complètement, il ne comprenait pas la cruauté gratuite. Marie lui posait beaucoup de questions sur sa vie à lui, il était gêné, il répondait difficilement, lui aussi avait beaucoup souffert dans les camps de prisonniers pendant la guerre, il avait été torturé, questionné pendant des jours et des nuits, mais tout cela, il ne pouvait pas le raconter à sa fille, en tout cas pas maintenant, peut-être plus tard, quand elle serait plus âgée.



Marie et son père vivaient dans la paix et le bonheur.
Ils habitaient dans la maison d'autrefois, et même si elle avait un peu changé, elle restait pour Marie, sa maison.



















CHAPITRE 6








Trois années passèrent, et Marie, maintenant âgée de 18 ans, était devenue une très jolie jeune fille.
Ses cheveux étaient moins blonds qu’autrefois, mais ils étaient longs et restaient soyeux. Marie avait gardé le même regard bleu profond, et si elle avait bien grandit, elle restait assez mince, presque trop menue, séquelles des privations de son enfance !
Elle avait fait la connaissance d'un jeune homme qui habitait un village environnant, il s'appelait Joseph.
Il avait deux ans de plus que Marie, et il était plutôt beau garçon, grand, très large d’épaules, les cheveux bruns et les yeux noisette, avec de jolis reflets verts.
Fils d'agriculteurs, il travaillait aux champs depuis l'âge de 10 ans, cela se voyait, il était fort bien bâtit ! il était d’une grande force aussi et puis très gentil, et c'est surtout cela qui plaisait à Marie, sa gentillesse.
Ils se voyaient souvent, Joseph et Marie, Ils se plaisaient bien, et le jeune homme faisait une cour assidue à la jeune fille.
Marie était troublée et contente à la fois, c’était très plaisant de se faire courtiser, et puis Joseph était un jeune homme très correct et très respectueux des convenances.
Tout se passait pour le mieux entre les deux jeunes gens, jusqu'au jour où Joseph demanda à Marie de l'épouser !
La jeune fille ne s’attendait pas du tout à une telle demande, certes, ils se voyaient souvent et s’aimaient beaucoup, mais de là à panser au mariage ! Elle n’était pas prête à ça Marie, elle venait d’avoir 19 ans seulement !
Marie courut voir son père pour lui dire la nouvelle et surtout pour lui demander son avis, elle avait peur, d'un seul coup, le mariage ! C’était quelque chose de très important, ça durait toute la vie, TOUTE LA VIE !!!
« Tu sais Marie » lui répondit Luc avec un petit sourire,
« Je connais très bien Joseph, ses parents aussi d’ailleurs, ce sont de très braves gens, ils n’ont pas une énorme fortune, mais ils ont des terres et une très belle maison, ce sont des gens que j’estime beaucoup, ils sont honnêtes et travailleurs. Joseph est fils unique, et je crois que tu serais la bienvenue dans cette famille, en tout cas, pour ma part, je suis ravi de ce mariage, soit très heureuse ma fille chérie ! » Dit-il en embrassant Marie sur le front.
Luc ne voulait montrer que sa joie à sa fille, mais dans son cœur, une grande tristesse venait de s’installer.
Il était content de savoir sa fille mariée avec Joseph, c’était vraiment un brave homme, il ne s’inquiétait pas pour ça, il était seulement triste de voir partir sa petite fille chérie, même si elle restait habiter dans le même village, c’est comme s’il la perdait un peu.
Le lendemain, Marie courut voir Joseph pour lui donner sa réponse :
« C'est oui Joseph, je serais très heureuse de devenir ta femme ! ». Ils s'embrassèrent tendrement.


















Le mariage fut célébré au printemps suivant, Luc avait préparer une somptueuse noce, pour sa fille unique.
Marie était ravissante dans sa robe de mariée.
C'était une robe assez simple, mais elle était en satin (ce qui représentait à cette époque, un grand luxe !) toute brodée de dentelles sur le corsage et les manches, avec quelques roses fraîches épinglées sur le décolleté, la jupe était toute simple, juste rehaussée d'un ruban de dentelles identiques à celles du corsage, sagement noué dans le dos.
Son bouquet était une composition plutôt traditionnelle de roses blanches, de fleurs d'oranger et de quelques jolies feuilles de fougère.
Elle avait sur la tête un magnifique voile de dentelles bordé de minuscules perles, tenu par une couronne de fleurs d’oranger, qu'elle avait relevé après la cérémonie, et qui maintenant flottait gracieusement sur ses épaules.
Les invités étaient nombreux, et bien sûr, Anna et Sonia étaient de la fête.
Chère Anna, elle était tellement heureuse de voir « sa petite Marie » s'unir à un jeune homme si gentil !
Ce fut vraiment une journée parfaite, tout le monde était content, Joseph était le plus heureux des hommes, et ses parents, qui commençaient à devenir vieux, se réjouissaient de cette union, Marie était vraiment une gentille jeune fille, elle ferait certainement, une bonne mère plus tard ! et puis, il y avait beaucoup à faire à la ferme et dans la maison, et Marie était la bienvenue pour cela aussi.
Marie partie donc avec son mari s'installer chez les parents de ce dernier.
Le travail ne lui faisait pas peur, elle connaissait tout cela depuis qu'elle avait 5 ans, mais cette fois, c'est pour elle et sa famille qu'elle travaillait, et elle y mettait encore plus d'ardeur, elle aimait cette vie de labeur et de joies simples, de soirées tranquilles et de promenades le dimanche après la messe.








Un an plus tard, en 1930, Marie, âgée de 20 ans, eut un petit garçon, qu'ils appelèrent Stéphane.
C'était un magnifique bébé, et si Marie et Joseph en était fier, il fallait voir « papy Luc » fondre de tendresse devant le « petit trésor » !

La vie suivait son cours, tranquillement, et deux ans plus tard, en 1932, Marie donna naissance à un second garçon qu'ils appelèrent Yvan.
C'est à la fin de cette même année, en novembre 1932, que Luc mourut.
Ce fut une dure épreuve pour Marie, et pendant des semaines, elle resta des heures entières à se souvenir de son père, de tous les moments qu'ils avaient partagés, elle se souvenait même que son père lui avait dit lorsqu'elle était toute petite, qu'un jour il irait retrouver sa mère au paradis !
« Voilà ! Maintenant tu es avec maman ! » Murmurait Marie sur la tombe de son père,
« Quand tu l'auras retrouvée, dit lui à quel point elle m'a manqué, et qu'elle me manquera toute ma vie, et toi aussi d'ailleurs, je vous aime très fort. Reposez en paix ! Je reviendrais vous porter des fleurs très bientôt ! ».
La vie poursuivait son chemin, mais depuis la mort de Luc, Marie ressentait un grand vide au fond de son cœur, pourtant, elle continuait à s'occuper de ses deux enfants et des parents de son mari qu'elle considérait maintenant un peu comme les siens.
Le père de Joseph était très malade, il mourut quelques mois après Luc, et, à nouveau, la maison fut remplie de tristesse et de larmes.
Marie ne comprenait que trop bien le chagrin de son époux, elle se sentait impuissante devant sa souffrance, et cela s’ajoutait à son chagrin.
Le temps guéri les blessures, mais il n’efface jamais les cicatrices.
Cinq mois plus tard, par un après-midi orageux d'automne, la mère de joseph était dans son jardin, à nettoyer le potager, quand soudain, un énorme éclair illumina le ciel, et la foudre vint s'abattre… directement sur la pauvre vielle femme affairée dans son jardin ! La pauvre fut foudroyée sur le coup.
Marie courut à toutes jambes vers sa belle-mère en appelant à l'aide, mais hélas, c'était déjà bien trot tard, il n'y avait plus rien à faire !
Marie tira le corps de la défunte dans la maison et la déposa sur le lit, ensuite, elle alluma plusieurs bougies tout autour du lit et tira le rideau afin de laisser la morte « reposer en paix ».

Lorsqu'il rentra de son travail, exténué, Joseph apprit de Marie, la mort de sa pauvre mère et les terribles circonstances de son décès.
Après la mort récente de son père, Joseph ne pus supporter cette terrible épreuve supplémentaire, il déprima beaucoup et à dater de ce jour, plus jamais il ne fut le même homme.

Petit à petit, Joseph se mit à boire.
D’abord de plus en plus souvent, puis de plus en plus tard le soir.

























Quatre ans après la mort de ses parents, joseph était devenu alcoolique.
Il rentrait de plus en plus tard chaque soir et dépensait la plupart de son argent au bar du village.
Chaque soir, il rentrait de plus en plus saoul, souvent agressif, parfois même violent.
Un nouveau calvaire commençait pour Marie, et elle ressentait à nouveau la solitude, son père lui manquait cruellement.
Elle avait beaucoup de travail, son mari ivre toute la journée et cuvant toute la nuit ne lui était pas d'un grand secours, il fallait qu'elle s'occupe des bêtes, de la maison, de la lessive, du ménage des enfants et, elle n'arrêtait pas, elle se levait à l'aube et se couchait bien longtemps après le soleil, elle était épuisée, mais pour ses enfants, il fallait qu’elle reste forte et le plus souriante possible.
Malgré tous ces efforts, elle ne parvenait pas à berner son fils aîné, Stéphane, il avait 7 ans maintenant, et il comprenait bien ce qui se passait chez lui, alors, après l’école, le petit garçon aidait sa mère du mieux qu’il pouvait.
Le courage de son fils redonnait du baume au cœur de Marie.
Un soir d'hiver, alors que la neige était tombée toute la journée, Joseph, malgré le froid, était allé rejoindre ses copains et boire quelques verres au bar du village, et ce soir là, il bu plus que les autres jours, il faisait déjà très noir quand il pris le chemin pour rentré chez lui, il gelait aussi.
Marie termina son travail de fermière, puis celui de cuisinière, elle fit dîner les enfants, les mit au lit, et se prépara pour aller, elle aussi se coucher. Elle commençait à s'inquiéter, Joseph, malgré tous ces défauts, ne rentrait jamais aussi tard.
Plusieurs fois, elle se leva du lit pour regarder à la fenêtre, il neigeait encore, et dehors, le silence était impressionnant, aucun bruit, aucun pas crissant, rien, Joseph n'arrivait toujours pas. Epuisée, frigorifiée, Marie retourna se coucher et avant de s'endormir, écouta dans la nuit, le moindre bruit, mais, toujours pas de Joseph, finalement, épuisée, elle s'endormit.
Joseph, ivre mort, marchait avec difficulté dans la neige, qui maintenant tombait en gros flocons épais et il neigeait assez fort maintenant, l'alcool aidant, Joseph titubait et tombait souvent, il perdait peu à eu, sans s'en apercevoir, la bonne direction, il tournait plus ou moins en rond, et à force d'efforts inutiles, il tomba, et trop ivre pour se relever, il s'endormit, roulé en boule, dans la neige, sans même un arbre pour l'abriter.
La neige tomba à gros flocons toute la nuit.
Le lendemain, en fin de matinée, un fermier qui passait avec son traîneau, vit brusquement son cheval s'arrêter et refuser d'avancer. L’animal avait vraiment l’air effrayé.
Intrigué, l'homme descendit du traîneau, fit le tour de son cheval, et aperçu le corps d'un homme sur le bord du chemin :
« Mon dieu ! Un cadavre ! », S’écria-t-il, il s'approcha doucement, et du bout des doigts, il retourna le pauvre corps tout raide de froid :
« Mais, c'est Joseph ! » S’exclamât l'homme à haute voix.
Joseph, qui s'était endormi dans la neige, mourut dans son sommeil, gelé par le froid de la nuit.
Le pauvre paysan secoua le corps de gelé de Joseph, peut-être qu'il ne faisait que dormir ! Mais non, rien a faire, il était bel et bien mort !
Il posa le corps tout gelé de Joseph sur son traîneau et parti en direction de chez Marie pour lui annoncer la triste nouvelle et lui porter le corps de son mari.
« Mais comment vais-je pouvoir annoncer une chose pareille à la pauvre Marie ? Elle ne s'en remettra jamais ! ».
Il arriva devant la maison de Marie, il n'avait toujours pas trouver comment lui annoncer la mauvaise nouvelle.
Il s'arrêta et descendit du traîneau.













En se réveillant au petit matin, Marie chercha dans toute la maison, dans l'étable aussi, pour voir si son ivrogne de mari était rentré pendant la nuit, mais à sa grande surprise, il n'était nulle part.
Elle se dit que, peut-être, trop ivre, il était resté dormir chez l'un de ses copains de bar, et qu'il rentrerait un peu plus tard. Mais, vers midi, toujours aucune nouvelle de Joseph, Marie s'inquiétait vraiment maintenant, il était sûrement arrivé quelque chose, elle décida qu'elle irait voir au village dès que les enfants auraient fini de déjeuner.
Quelqu'un frappa à la porte, un peu surprise, Marie alla ouvrir.
Devant elle se tenait l'un de ses voisins, il tenait son chapeau à la main et le tripotait d’un air nerveux, il avait l’air très ennuyé.
Marie ne le connaissait pas très bien, aussi, elle s'étonna de le voir chez elle, mais sans lui laisser le temps d'ouvrir la bouche, l'homme lui dit :
« Bonjour, Marie, tu me reconnais ? Je suis ton voisin, celui qui à la ferme au bas de la colline, ma femme s'appelle Stella ! Ce qui m'amène chez toi aujourd'hui, est une bien triste nouvelle, aussi je suis désolé de te l'apprendre de cette façon, mais j'ai retrouvé, tout à l'heure, le corps de ton mari sur le bord du chemin, il était déjà mort depuis plusieurs heures je crois, mais avec ce froid, on ne peut pas être sûr ! Il n'a aucune blessure, je suis vraiment désolé Marie, est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Ou pour tes enfants, si tu as besoin, ne te gêne surtout pas, demande à moi ou a ma femme, nous ferons tout pour vous aider tous les trois, tu peux compter sur nous, pauvre Marie ! ».
L'homme avait dit tout cela d'un trait, sans s'arrêter, Marie mit plusieurs secondes à réaliser ce que l'homme venait de lui dire, mais à présent, elle avait compris, Joseph était mort, son mari, le père de ses enfants n'était plus là, il les avait quittés, lui aussi !
Ils prirent le corps de Joseph, et le portèrent à l'intérieur où ils le déposèrent sur le lit. Silencieusement, Marie alluma une à une les bougies autour du lit, puis elle tira le rideau, les larmes coulaient sur ses joues :
« Venez, mes enfants, il faut que je vous parle ! » Dit-elle à ses fils.
Le lendemain, Joseph fut enterré aux cotés de ses parents dans le petit cimetière du village, la cérémonie fut simple et rapide, il faisait très froid.
Le long du chemin, pendant le retour à la maison, après la cérémonie, Marie marchait, donnant une main à chacun de ses enfants, il avait beaucoup neigé, ils avançaient lentement, et Marie, était perdue dans ses pensées.
Elle se demandait ce qui allait encore lui arriver, ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter tant de malheurs et comment elle allait bien pouvoir s‘en sortir seule avec ses deux enfants.




Ils arrivèrent enfin à la maison, et Marie se précipita vers la cheminée pour allumer un bon feu et réchauffer tout le monde.
C'est à ce moment là, qu'elle prit réellement conscience de la situation. Les prochaines années n'allaient pas être faciles, elle se retrouvait seule pour tous les travaux de la ferme, l'entretien de la maison, pour élever ses enfants et aussi pour tous les travaux des champs. La tâche allait être rude !
Devant le feu tout joyeux, Marie appela ses enfants et les pris tous deux sur ses genoux :
« Ecoutez--moi, mes petits chéris, vous le savez, papa est partit au paradis rejoindre grand-père et grand-mère. Cela veut dire que maintenant, nous ne sommes plus que tous les trois, alors il va falloir être bien sage et m'obéir sans discuter. Ce ne sera pas facile, mais tous ensemble, nous y arriverons ! ». Elle embrassa ses deux enfants, et ajouta :
« Toi Stéphane, comme tu es le plus grand, je te charge de veiller sur ton petit frère pendant que je travaillerais aux champs demain, fais bien attention, il va partout et touche à tout, il faut bien le surveiller, d'accord ? Et toi, petit Yvan, tu promets d'être bien sage et d'obéir à ton frère tout le temps qu'il le faudra ? Vous m'avez bien comprise tous les deux ? ».
Marie donna encore un baiser a chacun de ses fils et ajouta :
« Allez oust ! Allez jouer dans votre chambre, et ne vous disputez pas ! ».
Les deux enfants partirent en silence, ils ne comprenaient pas tout, mais ils devinaient le chagrin immense de leur si tendre maman :
« Nous serons bien sages, pour faire plaisir a maman ! » Chuchota Stéphane à son petit frère :
« Oui ! Très sage ! » Répondit ce dernier.




Pendant son dur labeur dans les champs, Marie avait beaucoup de temps pour penser, elle connaissait tous les gestes par cœur, elle en avait tellement l'habitude ! Et le fait de laisser ses deux petits, seuls, à la maison la torturait, elle se souvenait quand elle était petite et que son papa Luc partait travailler, de ses longues journées, elle se souvenait de ses peurs, de ses chagrins, tout cela lui faisait mal dans la poitrine ; Aussi, de temps en temps, puis de plus en plus souvent, elle emmenait les enfants avec elle aux champs. Pendant qu'elle travaillait, ils jouaient autour d'elle et elle pouvait les surveiller du coin de l'œil.
Les jours se succédaient et se ressemblaient tous. Seul le dimanche était un peu différent, car ce jour là, Marie ne travaillait pas et elle restait à la maison avec ses deux enfants. Ils se levaient, enfilaient leurs beaux habits du dimanche, et allaient à la messe au village.
Chaque dimanche, Marie et ses enfants se rendaient à l'office. Sur leur passage, les gens du village murmuraient :
« T'as vu, c'est Marie, quelle femme courageuse, elle est seule avec ses deux enfants, et elle s'occupe de tout, même des travaux des champs ! ».
« Elle ferait mieux d’embaucher quelqu’un pour l’aider ! » Répondait certains.
Après la messe, Marie prenait plaisir à bavarder avec tout le monde, un petit mot par-ci, un petit bonjour par-là, et pendant ce temps, ses enfants jouaient avec les autres petits du village, puis ils repartaient tous les trois dans leur ferme, située à la sortie du village. Après son départ, les gens parlaient, surtout les femmes, elles se disaient :
« Mais où va-t-elle chercher toutes ses forces et son courage ? Avec tout ce qu’elle a vécu, elle est toujours pleine de vie et d'entrain, toujours souriante, et ses petits son toujours bien propres, elle est incroyable ! ».
Ce n'était pas de la jalousie, Marie était trop gentille, elle n'avait pas d'ennemi, non, c'était juste de l'admiration pour cette jeune mère de famille, veuve et courageuse.
Les jours, les semaines, les mois passaient, et Marie, toujours vaillante, assumait tous les travaux de la ferme, et le reste. Elle ne voulait pas embaucher un étranger pour l'aider, et comme elle tous ces voisins avaient beaucoup de travail, et personne ne venait pour l'aider, jamais.
CHAPITRE 7









Un couple de jeunes mariés était venu s'installer dans le village récemment, et Marie avait fait leur connaissance, c'était un petit couple très gentil.
Lui, était assez grand, avec une belle moustache, beau garçon, il s'appelait Victor Furda.
Sa femme, toute petite, était une joyeuse personne, elle s'appelait Céline, elle était enceinte de quelques mois, c'était leur tout premier enfant, et les jeunes mariés avaient hâte de voir naître leur bébé.
Marie les aimait bien, et peut à peu, les deux familles devenaient amies.
Cela faisait un bien fou à Marie, d'avoir de nouveaux voisins, elle semblait encore plus souriante, elle avait enfin une voisine qui avait presque son âge et qui deviendrait bientôt une véritable amie, en tout cas c'est ce que Marie espérait.
La foire annuelle venait de s'installer au village voisin, c'était un rendez-vous que tout le monde attendait avec impatience chaque année, ce n'était pas très loin, une petite vingtaine de kilomètres, tout au plus.
C'était un lieu où tout le monde se retrouvait, bavardait, concluait des affaires, buvait et mangeait. On pouvait acheter à peut près tout ce dont on avait besoin, même des animaux parfois.
C'était un grand évènement cette foire ! Et Marie décida d'y emmener ses enfants, même si, elle n'avait pas vraiment besoin d'y aller, cela lui ferait du bien de sortir un peu de chez elle, et les enfants seront très contents, et puis on ne sait jamais, peut-être trouvera-t-elle une bonne affaire ?
Victor et sa femme aussi décidèrent d'aller à cette foire, malgré la grossesse de Céline, le temps était clair et chaud en ce mois de mai, et la route était bonne jusqu'à la foire.
Ils préparèrent leur panier pour le pique nique du midi, car à cette époque, (1935) les bus étaient rares dans les campagnes yougoslaves, et le seul moyen de parcourir les longues distances, c'était la charrette attelée.
Ils ne seraient pas de retour avant la fin de la journée, il ne fallait rien oublier. Victor attela ses chevaux et ils se mirent tranquillement en route.
Ils arrivèrent en fin de matinée. Victor et sa femme firent quelques achats bien négociés, Céline acheta du tissu pour confectionner quelques draps pour le berceau du bébé, Victor lui, acheta des outils pour les travaux des champs. Ils se promenèrent rencontrèrent quelques amis, dont Marie et ses enfants, et comme il était midi passé, tout le monde décida de se regrouper pour le pique- nique. Le repas fut excellent, tout le monde échangea des victuailles, ses boissons, les rires fusaient de tous les cotés, l'ambiance était à la fête.
A la fin du repas, les voisins de Victor déclarèrent qu'ils allaient rentrer puisque tous leurs achats étaient faits :
« Ha ! bon, vous partez déjà ! » dit Victor
« Oui, j'ai des choses à faire à la maison » répondit le voisin.
« Si vous aviez une petite place pour moi, je serais bien rentré avec vous » intervint Céline,
« Il commence à faire chaud, et je suis fatiguée, mais toi, Victor, tu n’es pas obligé de rentrer, profite de la foire et prend tout ton temps ! »
« Bon, d'accord, si ça te fait plaisir, et si nos bons amis ont de la place, je resterais bien encore une heure ou deux ici, je n'ai pas tout vu ! » Lui répondit Victor.
« Bien sûr que nous allons vous ramener ma chère Céline ! » répondit avec entrain la femme du voisin,
« Le chemin du retour n'en sera que plus agréable ! »
« Alors, c'est entendu comme ça ! » dit Victor
« je ne rentrerais pas trop tard, c’est promis ! » Dit -il en embrassant sa femme.
« A ce soir ! » Répondit Céline.
Elle prit place dans la charrette, et tout le monde se mit en route.


A mi-chemin, une voie ferrée traversait la route, et à cette époque, il n'y avait pas de barrières pour protéger les gens du passage des trains, ils s'arrêtèrent donc pour laisser passer un train de marchandises. Le train était très long, il devait bien compter au moins dix wagons, et à cet endroit, les trains ne roulaient pas très vite. Ils durent attendre dix bonnes minutes.
Une fois le dernier wagon passé, le conducteur engagea sa charrette sur la voie ferrée, malheureusement, un second train arrivait dans le sens inverse, sur l'autre voie, ils n'avaient pas pu le voir à cause de la longueur du premier train, celui qu'ils avaient laissé passer.
A la vue du train qui arrivait droit sur lui, le conducteur fouetta son cheval pour le faire avancer plus vite, mais rien n'y fit, la charrette était trop lourde, et la pauvre bête n'arrivait pas à aller plus vite malgré touts ses efforts.
Le conducteur du train fit tout ce qu'il pus pour stopper sa machine, mais il avait aperçu la charrette bien trop tard, et la surprise de trouver des gens à cet endroit, lui avait fait perdre des secondes précieuses.
C'est dans un vacarme indescriptible, de cris de bruits de freins et de vapeur, que le train percuta la charrette de plein fouet.
Le train s’immobilisa enfin !
Des cris s'échappèrent de l'attelage, puis, plus rien, seul le bruit de la locomotive résonnait encore.
Le pauvre conducteur du train descendit précipitamment de sa locomotive, et courut vers ce qui restait de l'attelage. Le spectacle n'était pas beau à voir, tout gisait pêle-mêle sur la voie ferrée et sur la route.
Les corps sans vie des occupants de la charrette, celui du cheval, tous les achats étaient éparpillés un peu partout. Le brave homme entrepris de fouiller les poches des victimes afin de savoir de qui il s'agissait et de prévenir les familles.
Un drame affreux venait de se produire, et le bruit assourdissant de la locomotive avait attiré du monde, une sorte de chaîne d'information se mit en place, et à peine quelques minutes après l'accident, la nouvelle arriva aux oreilles de Victor qui se promenait tranquillement à la foire.
Il courut aussi vite qu'il pus jusque sur les lieux du drame, et en chemin il se disait :
« Ce n'est peut être pas la même charrette, il y en a tant par ici aujourd'hui, les gens ont pus se tromper! ».
En arrivant sur les lieux de l'accident, Victor avait du mal a respirer tant il était essoufflé, il se fraya un chemin parmi les curieux, et, immédiatement, il reconnu son voisin, sa femme, et, un peu plus loin, Céline qui gisait sur le sol.
Victor s'arrêta un instant, comme pétrifié par l'horreur, puis il s'avança vers sa femme en criant :
« Céline ! Céline ! Réponds-moi ! ». Il s'agenouilla et prit tendrement le corps de sa jeune femme contre lui, il posa la main sur son ventre encore tiède, et se mit à pleurer, d’abord doucement, puis, de plus en plus fort, et finalement, il poussa un hurlement si fort, que tout le village l’entendit et s’arrêta de vivre un instant.
« Pauvre homme ! » Disait-on autour de lui.
Il venait de tout perdre en d'un seul coup, sa jeune femme et son enfant qu'il ne connaîtrait jamais.
Victor se sentait coupable, il regrettait d'avoir permis à sa femme de rentrer sans lui :
« mais pourquoi est-elle partie sans moi ? Que vais-je devenir sans elle ? ».

L'enterrement fut célébré trois jours plus tard, toute la famille de Céline et celle de Victor étaient là.
La cérémonie fut très émouvante et terriblement triste, Victor avait beaucoup de mal a surmonter la perte de son épouse, et comme pour accentuer ce chagrin, il pleuvait ce jour là, le ciel était bas et gris, très sombre, presque noir, et la pluie torrentielle était glacée.
Victor resta longtemps près de la tombe de sa femme, il pleurait beaucoup, il se sentait coupable de sa mort et de celle de son enfant aussi. Ce pauvre petit bébé qu'il ne verra jamais !
Tout le monde était parti depuis longtemps et il faisait déjà nuit quand Victor, trempé, exténué, se décida enfin à rentrer chez lui.
Quand il arriva devant la porte du jardin, Victor regarda sa maison. Elle était inhabituellement sombre, aucune lumière ne brillait. Tout était étrangement triste, avec hésitation, Victor ouvrit la porte de la maison.
Tout était silencieux, seuls les bruits de ses pas et celui de sa respiration résonnaient. Sans même prendre le temps de retirer ses vêtements trempés, il se dirigea directement vers la chambre du bébé.
C’est devant toutes ces petites affaires, qu’il fondit en larmes, et de gros sanglots s'échappèrent de sa gorge.
En un instant, toute sa vie avait basculée, il n'avait plus rien, plus personne. Tous les projets en cours étaient suspendus, perdus !

La vie reprenait petit à petit ses droits, et Victor, difficilement, continuait son train-train quotidien.
Quand il se sentait trop seul, ou qu'il avait trop de chagrin, il allait voir Marie. Ils étaient devenus bons amis, et depuis qu'il était veuf, Victor ne voyait plus grand monde, comme si la mort et le chagrin étaient contagieux !
Alors, la présence de Marie et de ses deux enfants lui redonnait du courage pour continuer.
Il avait trouvé en Marie, une oreille attentive, une solitude partagée, une douleur commune, celle d'avoir perdu un être cher ! Et petit à petit, les visites de Victor à Marie se firent de plus en plus nombreuses, de plus en plus fréquentes.
Cela faisait presque deux ans maintenant que Céline et le bébé étaient morts, Victor était encore triste, mais la vie continuait, il fallait laisser faire les choses !
Il ressentait beaucoup de sentiments pour Marie, de la tendresse, de la reconnaissance, de l'amitié, du désir aussi, et un peu d'amour quand même ! Il pensait qu'une liaison avec Marie serait bénéfique pour tout le monde, Marie aurait un époux, ses enfants un père et Victor aurait de nouveau une femme…
Mais Marie serait-elle d'accord pour l'épouser ? Ils n'en avaient même jamais parlé, il ignorait tout de ce qu'elle pouvait penser.
Le travail aux champs était fini pour la journée, alors, Victor décida d'aller chez Marie pour lui parler de cette proposition de l'épouser. Après un brin de toilette, il parti chez la jeune femme, un peu nerveux.
C’est presque timidement qu’il frappa à la porte de chez Marie.
Marie aussi, avait fini son travail de la journée, elle allait commencer à préparer la soupe du soir pour ses enfants, quand on frappa à sa porte.
« Bonsoir Marie, j'espère que je ne te dérange pas ? Je viens un peu plus tôt que d'habitude, j'espère que je ne suis pas trop en avance ? Il fallait que je te parle ! »,
« Et bien entres ! Ne restes pas dehors, assieds-toi qu'as-tu donc de si important à me dire ? Parles, je t'écoute pendant que je termine de préparer le souper des enfants. »
Victor se tortillait sur sa chaise, comme un enfant intimidé, Marie trouva cela un peu étrange, mais elle fit mine de ne rien remarquer, Victor prit une grande inspiration et dit :
« Voilà, Marie… », Il hésitait
« Cela fait maintenant un an que je viens te rendre visite régulièrement, et chaque fois, tu m'offres ton hospitalité, je t'ai souvent parlé de mon chagrin, de ma solitude, et toi tu as toujours été là pour m'écouter, me réconforter, j'ai trouvé au près de toi, dans ta maison, cette paix et ce bonheur simple d’être écouté et compris, et, toi aussi, tu es seule, alors, je me suis dit… » Victor s’arrêta un peu pour reprendre sa respiration et chercher ses mots, Marie s’était arrêtée de cuisiner, et, immobile au milieu de la cuisine, elle écoutait Victor sans rien dire, étonnée par ses paroles, elle ne s’attendait vraiment pas à ça !
« Je voudrais t'épouser ! » lança Victor
« C’est ça que je suis venu te dire, tu es seule, et je sais comme le travail de la terre est difficile, ensemble se sera plus facile, tu sais Marie, on se connaît bien, maintenant, et je suis sûr de pouvoir te rendre heureuse, et tes enfants aussi ! »
« Mais Victor, je n'ai jamais penser me marier avec toi, j'ai deux enfants, toi, tu es seul, tu peux te trouver une femme libre et refaire ta vie, je ne peux pas accepter ta demande pour cette raison, et pour d'autres ! »
« Mais pourquoi Marie ? Pourquoi ? » Demanda Victor
« Tu sais, j'ai grandi seule, sans mes parents, quand j'étais toute petite, je suis restée avec ma belle-mère pendant que mon père était à la guerre, et j'ai vécu un véritable enfer, si tu savais combien de fois j'ai souhaité ma mort ! Et voilà Victor, tu vois, je n'ai pas envie que mes enfants vivent la même chose, leur père est mort, et je ne supporterais pas que quelqu'un leur fasse du mal. Je pense que tu peux comprendre ça ? »
« Je comprends Marie, tu n'es pas obligée de me répondre tout de suite, je te laisse réfléchir, je sais bien que ça te fait peur, mais on est pas tous pareils, il y a quand même de belles choses sur cette terre ! ».
Troublée, Marie lui répondit :
« Je ne sais pas Victor, laisse-moi du temps pour y réfléchir, c'est une grave décision à prendre, et je ne te dirais rien de plus là dessus ce soir ! ».
Victor, un peu déçu et légèrement vexé, se leva, salua Marie qui le regarda partir un peu étonnée et rentra chez lui.

Victor, perdu dans ses pensées tristes, marchait la tête basse, le dos voûté, il ne s'aperçut même pas qu'il venait de croiser un de ses copains :
« Eh ! Salut Victor ! »
« Bonjour Pierre ! » répondit-il vaguement. Intriqué, le jeune homme s'arrêta et posa la main sur le bras de Victor :
« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu es malade ? Tu es tout pâle ! » Demanda Pierre
« Non, je ne suis pas malade, ce n'est pas ça ! » répondit Victor en haussant les épaules.
« Alors dis-moi, qu'est-ce qui t'arrives ? Je peux peut-être t'aider ? »
« Non ! » répondit encore Victor, « Je t'assures que tu ne peux rien faire pour moi ! »
« Expliques moi quand même ce qui ne va pas, et je verrais bien ensuite si je peux t'aider ou non ! » Insista Pierre.
« Bon et bien voilà ! » Dit Victor,
« J’ai demandé à Marie de m'épouser, mais elle a refusé, elle ne veux pas, pourtant, c'est ELLE que je veux ! »
Pierre regardait son ami tristement,
« Décidément, il n'a vraiment pas de chance ce pauvre Victor ! » Pensait-il
« Tu vois bien que tu ne peux rien pour moi ! Bon, je te laisse, je rentre chez moi, à une prochaine fois ! » Dit Victor en s'éloignant :
« Oui, à bientôt, et courage ! » répondit Pierre,
« Il faut que je fasse quelque chose pour l'aider, ce brave Victor mérite bien une seconde chance d'être heureux. » Pensait-il,
« Je vais aller voir Marie, et tenter de la convaincre d'épouser Victor ! ».
Fort de cette décision, il repartit chez lui, demain, il irait voir Marie.
















Le lendemain, en fin de matinée, Pierre se décida, et partit chez Marie.
Il frappa à la porte, elle s'ouvrit presque aussitôt :
« Bonjour Pierre, quelle surprise ! »
« Bonjour Marie, comment vas-tu ? »
« Très bien, entre un instant et assieds-toi, tu veux un café ? »
« Oui, je veux bien merci ! ».
Il regardait Marie préparer la boisson chaude tout en se demandant comment il allait aborder le sujet « Victor » avec elle.
Il prit la tasse de café fumant et dit :
« Hmmm !!! Il sent drôlement bon ton café Marie ! Alors dis-moi, comment vas-tu, et tes enfants, ils vont bien ? On ne vous voit pas beaucoup au village en ce moment ! »,
« Oh tu sais, j'ai beaucoup de travail à faire et peu de temps pour m'occuper de moi, j'élève mes deux garçons, et le reste du temps, je le partage entre les travaux des champs, les bêtes, les courses, les repas, les lessives, la couture, et tout le reste ! » répondit Marie
« Et tu y arrive toute seule ? » demanda Pierre admiratif
« Difficilement, mes journées sont bien longues, mais je n'ai pas le choix et je ne veux pas d'un étranger dans ma maison ! ».
« Mais non, tu n'es pas obligée de prendre un étranger Marie ! Il y a bien quelques gars au village qui voudront travailler pour toi ! » Dit Pierre
« Mais qu'est-ce que tu viens me raconter, que je ne suis pas obligée d'assumer tout le travail ? Il faut bien que j'élève mes enfants et que je les nourrisse ! »
« Ecoutes moi Marie, hier, j'ai croisé Victor et nous avons bavardé. Il m'a avoué être amoureux de toi, et il voudrait bien t'épouser. Pourquoi tu ne te maries pas avec lui ? Il est gentil, travailleur et honnête, et surtout il t'aime ! Et puis, vous vous connaissez bien tous les deux ! Non ? »
« C'est Victor qui ta demandé de venir me parler ? » demanda Marie sèchement
« Non ! Bien sûr que non ! » Répondit Pierre
« Il ne sait même pas que je suis ici, mais il me faisait beaucoup de peine, alors, j'ai voulu faire quelque chose pour l'aider ! Il m'a dit qu'il t'avait demandée en mariage et que tu lui as dis non, mais tu es sûre que tu ne veux pas y réfléchir un peu ? Tu sais Marie, il n'y a pas beaucoup d'homme comme Victor, je le connais depuis que nous sommes gosses, c'est vraiment un homme bien ! C’est pour ça que je suis venu te voir, mais maintenant, je vais rentrer chez moi, essaies de réfléchir quand même à sa proposition ! Au revoir Marie, prends bien soin de toi et merci pour le café ! ».
Pierre se leva et se dirigea vers la porte, Marie, toujours silencieuse, se tenait immobile et regardait fixement derrière Pierre. Elle réfléchissait, elle ne savait pas quoi décider, Victor lui plaisait bien, mais elle avait peur pour ses enfants, elle s'était juré de toujours les protéger.
Une semaine plus tard, Victor décida de rendre une nouvelle visite à Marie, depuis sa demande en mariage, ils ne s'étaient pas revu.
Il voulait retenter sa chance, il voulait une réponse positive. Il arriva devant chez Marie et frappa, Marie ouvrit la porte et sourit :
« Bonjour Victor ! »
« Bonjour Marie, je peux entrer un instant ? »
« Oui, rentre et assieds-toi ! »
« Je ne reste pas longtemps, je voudrais juste avoir une réponse, et savoir si tu avais changé d'avis pour ma demande en mariage. Est-ce que tu veux m'épouser, Marie ? »
« Tu sais, j'y ai beaucoup pensé, j’ai beaucoup réfléchi et je me suis faite à l’idée de t’épouser, mais avant de te donner une réponse, je voudrais que tu me fasses une promesse, une vraie promesse ! Je voudrais que tu me jures devant Dieu que tu aimeras mes enfants comme les tiens, et que jamais, tu m'entends Victor, JAMAIS, tu ne les battras ! Tu sais, dans mon enfance, j'ai vécu beaucoup de malheurs parce que les adultes ne m'aimaient pas, c'est ma seule condition pour t'épouser, mais jures-le devant Dieu ! »
Très ému, Victor jura plusieurs fois à Marie qu'il aimerait ses enfants comme les siens, qu'il leur apprendrait pleins de choses, la pêche, la chasse, et peut être même le braconnage ! Pour aider dans les jours difficiles !
« Alors, c'est d'accord, je veux bien t'épouser Victor, je serais ta femme ! » Dit Marie en le regardant droit dans les yeux avec un grand sourire.
« Tu verras ma douce, je vais vous aimer jusqu'à la mort, toi et tes enfants, nous seront la famille la plus heureuse du village ! » Dit Victor.
Il prit sa future femme dans ses bras et l’embrassa longuement, tendrement.

La date du mariage approchait, et les préparatifs allaient bon train, Victor était très heureux d'épouser Marie, il avait invité tout le village à la fête, il y avait fort à faire !
Le mariage fut célébré le samedi matin, à l'église du village, tout le monde était là, tous endimanchés.
Après la messe, tout le monde se réunit chez les nouveaux mariés, et la fête commença, elle ne prit fin que le lundi en fin de matinée, tous les convives étaient épuisés après une si longue fête.
Victor, Marie et ses deux enfants commencèrent une nouvelle vie. Ils travaillaient ensemble, vivaient ensemble, ils ne se quittaient plus.


























Chapitre 8








Un soir, alors que Victor revenait des champs avec ses chevaux, il aperçut sa femme qui l’attendait sur le pas de la porte, c’était assez inhabituel, alors il descendit précipitamment de sa charrette et se précipita pour embrasser Marie.
En arrivant plus près d'elle, Victor vit que sa femme était rayonnante de joie :
« Tout va bien Marie ? Je trouve que tu as un air bizarre ! » demanda Victor
« Oh ! Oui, je vais très bien, j'ai une grande nouvelle à t'annoncer ! » Dit Marie d’une voix enjouée,
« Une nouvelle ! Quelle nouvelle ? » Demanda Victor
« En tout cas, à te voir, il s'agit évidemment d'une très bonne nouvelle ! » Ajouta-t-il.
« Oui, une excellente nouvelle, Victor je suis enceinte, nous allons avoir un bébé ! » Annonça Marie d’une voix triomphante.
« Un bébé ! ? » s'exclama Victor abasourdi,
« Un bébé ! Ça veut dire que je vais être papa ! Marie, comme je t'aime, je suis maintenant le plus heureux de tous les hommes de la terre ! ».
Victor s'avança, prit sa femme par la taille et la fit danser dans la cour, il était fou de joie. Enfin, il allait être papa, un enfant à lui, bien sûr, il y avait les deux garçons de Marie, il les adorait, mais ils étaient déjà grands.
Marie riait aux éclats, elle était ivre de joie, enfin, tout lui souriait !
Ils dansèrent, dansèrent, jusqu'à ce que Marie, à bout de souffle lui demande de s’arrêter.
Ils rentrèrent et annoncèrent aux garçons que bientôt, il allait y avoir un bébé à la maison. Les enfants étaient partagés entre la joie et l'inquiétude, mais ils sourirent et ne dirent rien, juste qu'ils étaient impatients de le voir, ce bébé !
Ce soir là, ce fut la fête dans la jolie maison, de l'extérieur, on entendait des rires et de joyeux éclats de voix.
Le lendemain, ils annoncèrent la bonne nouvelle à toute la famille, ainsi qu'à tous leurs amis.
On organisa une fête en l'honneur des futurs parents, ce fut comme un second repas de noce.
Jamais Marie n'oublierait ces moments magiques, tous ces gens qui venaient la voir en souriant, juste parce qu’elle attendait un enfant, elle ne les oublierait jamais.
Chaque soir, Victor se dépêchait de rentrer chez lui pour rejoindre sa femme et ses garçons.
La grossesse de Marie était bien avancée maintenant, et le bébé devait arriver d'un jour à l'autre.
Un matin, alors que Victor se préparait à partir travailler dans les champs, Marie lui dit :
« Non, ne pars pas Victor, ne vas pas travailler aujourd'hui, à mon avis, tu vas avoir mieux à faire ! »
« Mieux à faire ? » demanda Victor étonné,
« Qu'est-ce qu'il y a Marie, ça ne va pas ? Tu ne te sens pas bien ? Tu es toute pâle ! »
« Si, tout va très bien, c'est juste que c'est aujourd'hui que le bébé a décidé de venir ! Vas vite me chercher Julie la sage-femme du village, je vais avoir grand besoin d'elle ! ».
Pendant que Victor allait chercher Julie, Marie prépara son lit, mit de l’eau à bouillir, puis elle sortit des serviettes propres, et les vêtements du bébé.
Les contractions étaient déjà très fortes, et Marie décida qu’il serait plus prudent qu’elle se couche tout de suite en attendant l’arrivée de Julie.
Victor courut chez Julie, il était tellement content, qu'il avait l'impression de voler. Il arriva devant chez la sage-femme, et se mit à frapper avec force :
« Julie, tu es là ? » demanda-t-il
« Voilà, j'arrive ! Calmez-vous ! » Dit Julie en ouvrant la porte
« Ah ! C’est toi Victor, que ce passe t'il ? »
« C'est Marie, elle à besoin de toi, tout de suite, il faut venir, Marie va avoir le bébé ! ».
Julie était une femme qui avait une très grande force physique, elle était plutôt grande et très impressionnante, mais elle était connue aussi pour son savoir-faire en tant que sage-femme, et sa grande douceur, qui contrastait avec son physique si imposant.
« J'arrive, j'arrive, ne t’affoles pas comme ça, elle n’en est pas à son premier. Viens, entres, on va boire un petit coup à la santé du bébé ! » Dit Julie en se reculant pour laisser entrer Victor
« Non merci Julie, je ne veux pas boire un verre, je veux que tu viennes voir Marie, elle a besoin de toi ! ».
Julie se servit un verre d'eau de vie, et l'avala d'un trait, sans même faire la grimace :
« Bon allez, on y va ! » dit-elle à Victor.
Quand ils arrivèrent chez Victor, ils trouvèrent Marie assise sur une chaise, le visage tordu par la douleur, Julie se précipita :
« Bonjour Marie, viens, je vais t'allonger sur ton lit, et nous allons voir où en est le bébé ! ».
Doucement, Julie aida Marie à se lever de sa chaise pour aller s'allonger sur le lit :
« Je m’étais allongée tout à l’heure, mais la douleur m’a fait me relever, j’avais besoin de marcher un peu ! » Dit Marie essoufflée, entre deux contractions.
La grosse Julie s'assit sur un tabouret, mit ses lunettes et examina Marie avec attention :
« Je pense que ce sera pour très bientôt ! » Dit-elle à Marie en souriant, puis elle se retourna et dit :
« Victor, vas me chercher Myriam, la voisine, dis lui que je vais avoir besoin d'elle pour s'occuper du bébé quand il sera né ! ».
Victor partit en courant.
Pour la circonstance, les deux garçons de Marie étaient restés chez des amis, ils y passeraient deux jours. Cela laisserait un peu de temps à Marie pour se remettre de la naissance du bébé.
Myriam arriva, vérifia la température de l'eau et prépara le linge et des serviettes propres pour la toilette du bébé.
C'est au bout d'une heure d'efforts et de douleurs, en cette belle journée de printemps, que vint au monde le bébé de Marie.
C'était une magnifique petite fille.
Le bébé lavé, Myriam partit chercher Victor :
« Viens voir Victor, le bébé est né, tu as une belle petite fille ! »
« Une fille ! » dit-il l‘air étonné
« C’est une fille ! J'ai une fille, Ma fille, je suis PAPA ! » Chantonnait Victor.
Il ne tenait plus en place, il sautillait comme un enfant, il était littéralement ivre de bonheur. Il courut dans la chambre pour prendre des nouvelles de Marie et voire sa fille.
Quand Victor pris sa fille dans ses bras, ses yeux s'emplirent de larmes, il eut une pensée émue pour sa défunte femme et son bébé disparut, mais bien vite, la joie de la réalité lui réapparut, et c'est de joie qu'il pleurait maintenant. avec amour et étonnement, il regardait ce bébé si petit au creux de ses bras, et en regardant sa femme il dit :
« Elle est magnifique, tout comme toi ! Elle te ressemble ! On va l'appeler Catherine ! »
« Oui ! » dit Marie en souriant,
« Tu as raison, c'est un très joli prénom, elle s'appelle donc Catherine ! ».
Deux jours plus tard, lorsque Stéphane et Yvan rentrèrent, ils restèrent stupéfaits de la petitesse de leur sœur :
« Mais elle est minuscule ! » dit Stéphane,
« Nous aussi, on était touts petits comme Catherine ? » demanda t-il à sa mère,
« Oui mon cœur, tous les deux, vous étiez aussi petits que votre sœur, même moi quand je suis née, j'étais toute petite ! ».
Les deux garçons regardèrent leur mère avec des yeux écarquillés d'étonnement, puis ils se regardèrent et se mirent à rire, ils n'avaient jamais imaginé que leur maman avait été un jour une petite fille ! Et ça les amusait d'essayer d'imaginer à quoi elle ressemblait quand elle était petite.


Marie était heureuse, sa vie était telle qu'elle l'avait rêvée, un mari gentil et travailleur, des enfants en parfaite santé et une maison bien à elle.
Tous ses rêves étaient comblés, elle n'en espérait pas d'avantage, et elle remerciait Dieu chaque jour avec ferveur de tant de bonheur.
Victor travaillait aux champs, il avait embauché deux jeunes gars du village pour l'aider, ils travaillaient bien et étaient honnêtes. Victor les connaissait bien, et avec quatre bras en plus pour les travaux, cela allait bien plus vite, et Victor pouvait ainsi rentrer chez lui en fin de journée, et non plus à la nuit tombée comme avant, quand il était seul à travailler.
Marie s'occupait de la maison, de l'éducation des enfants, de toutes les tâches ménagères ainsi que de la traite des vaches.
Tout allait bien dans cette jolie ferme toute fleurie du printemps à l'automne, la vie s'écoulait paisiblement.


































1939 - La guerre a éclatée !
Quand les troupes allemandes arrivèrent au village, ce fut la panique totale pour tous ces braves paysans.
Les soldats ramassèrent tous les hommes et les femmes aussi pour aller travailler dans des camps en Allemagne.
Travailler sous la contrainte, ils appelaient ça le travail obligatoire.
Marie était dans l'obligation de partir alors que Catherine avait tout juste quelques mois, pas tout à fait un an.
Victor resta au village parce que les allemands avaient plus besoin de femmes que d'hommes.
Les allemands ne laissaient qu'une seule personne adulte par famille. Marie était désespérée, elle pleurait, elle ne voulait pas partir et laisser ses enfants seuls, mais elle n'avait pas le choix, elle était obligée de partir, elle risquait de se faire tuer si elle refusait.
Victor était consterné, il se sentait impuissant devant la douleur de sa femme, comme il aurait voulut partir à sa place ! Mais le sort, la malchance, la vie en avait décidé autrement, et c'est elle qui devait partir.
Stéphane et Yvan pleuraient, ils avaient du mal à comprendre pourquoi leur mère devait partir ainsi, ils étaient encore trop jeune pour comprendre l'implication exacte du mot GUERRE.
Marie attrapa ses trois enfants dans ses bras, et leur dit en pleurant et en les serrant très fort :
« Je suis obligée de partir aujourd'hui, mais je vous jures que je reviendrais, je ne sais pas encore quand, mais je reviendrais, je vous en fait la promesse aujourd'hui, je reviendrais ! Soyez bien sages et écoutez bien votre père, c‘est promis ? ».
Les garçons promirent, Catherine regardait sa mère pleurer avec de grands yeux étonnés.
Devant ses yeux, Marie repassait la scène du départ de son père pour la guerre. Elle se rappelait la douleur qu'elle avait ressentit quand elle avait compris que son père était parti pour longtemps, et cela lui faisait encore plus de peine de savoir que c'est elle qui partait en laissant ses enfants, heureusement, eux, ils avaient un père aimant pour rester auprès d’eux :
« Victor, Victor, jures moi de ne jamais abandonner les enfants, jures moi de toujours t'en occuper ! Jures-le moi Victor ! » Dit Marie en se tournant vers son mari les yeux pleins de larmes.
Victor s'approcha d'elle, la prit tendrement dans ses bras et il lui dit :
« Ne t'en fait pas Marie, tes deux garçons, je les considère comme les miens, tu devrais le savoir maintenant, et je te promets de toujours veiller sur eux, ce sont mes enfants aussi, je ne fais aucune différence entre eux et Catherine, et je ferais de mon mieux, je te le jure Marie, tu me crois dis ? ».
Il prit Marie par le menton et plongea son regard dans les yeux de sa femme, il répéta doucement :
« Tu me crois n'est-ce pas Marie ? »
Bouleversée par tout l'amour qu'elle lisait dans les yeux de son époux, Marie ne pus que faire "oui" de la tête, elle se précipita dans les bras de son mari et l'embrassa tendrement, puis elle se prépara à partir.
C'est le cœur déchiré et l'âme en miettes que Marie quitta son époux et ses enfants, elle attrapa sa petite valise et partit en direction de la gare. Victor avait voulu l'accompagner, mais Marie avait refusé :
« Je préfère marcher jusque là-bas, seule ! » Avait-elle répondu.
C'est donc seule que Marie partit pour la gare, un dernier regard avant le tournant de la route… Ca y est, elle ne les voyait plus.
Marie prit son courage à deux mains pour ne pas retourner chez elle en courant, mais elle savait qu'elle n'avait pas le choix, elle devait partir.
Elle arriva devant la mairie du village, c'est là qu'elle devait se rendre avant d'aller à la gare, il fallait qu'elle donne son identité et son adresse à l'officier allemand et qu'elle se groupe avec tous les autres villageois présents.
Beaucoup de ses amies étaient là aussi, elle se mit à coté d'elles, ensembles, elles avaient moins peur !
Tout le monde fut conduit à la gare et entassé dans un train en direction de l'Allemagne.
Marie était désespérée, elle pleura tout le long du voyage, elle ne cessait de penser à Victor et à ses enfants, elle se demandait si elle les reverrait un jour, le destin voulait-il que ses enfants vivent la même vie qu'elle ? Pourquoi la vie était-elle si cruelle ? Le destin de Marie était-il de souffrir, de souffrir encore et encore ? Pourquoi ?
Perdue dans ses pensées, Marie ne s'était pas aperçue que le train venait d'entrer en gare. On les fit descendre du train, et se regrouper sur le quai, les femmes d'un coté et les hommes de l'autre.
Marie fut choisie pour aller travailler dans une ferme.
Au moins, elle connaissait son travail, peut être que si elle faisait tout ce qu'on lui demandait, elle irait rejoindre sa famille assez vite !
Quand elle arriva devant la voiture, un homme très grand, avec de grosses moustaches, l'attendait, il lui fit signe d'avancer, pas un seul mot ne sortit de sa bouche, il avait juste fait un signe de la tête. Marie regarda cet homme si grand, et en un éclair, elle se revit à l'âge de 5 ans, devant le si méchant Marco chez qui elle avait gardé les oies et les vaches. Elle effaça ses souvenirs d'un geste de la main, se ressaisit et monta dans la voiture de l'inconnu. Elle n'était pas très rassurée.
On l'emmena dans une ferme assez grande où son travail consistait à s'occuper des vaches, nettoyer l'étable, nourrir les bêtes et bien sûre il fallait aussi les traire !
Les jours que Marie vivait étaient bien tristes, elle pensait sans cesse à ses enfants, et une foule de questions se pressaient dans sa tête, et jamais une seule réponse ne venait soulager son cœur de mère et d'épouse :
« Comment vivent-ils, sont-ils tous en bonne santé, Comment va ma petite fille ? Elle ne va plus me reconnaître si je reste partie trop longtemps ! ». Marie pleurait tous les jours, elle n'avait qu'une seule idée en tête, trouver un moyen de rentrer chez elle !
Une idée fit son chemin jour après jour dans sa tête.
Et si elle devenait folle, que se passerait-il ? Elle ne pourrait plus travailler, ce serait trop dangereux ! Cette idée ne la quittait plus, dès que possible, elle commença à mettre son plan à exécution.
Un jour elle cassa de la vaisselle, un autre jour, elle renversa tout le lait de la traite sur la patronne, cette dernière, furieuse disait à Marie :
« Niche good Marie, niche good ! » (C’est pas bon Marie, pas bon !), Marie dans un état d'excitation extrême, continuait de tout renverser dans la cuisine en grommelant :
« Goûte toi, niche good ! J'en ai assez de la vie ici, pas bon, ! ». Marie continua son petit manège plusieurs jours de suite avec la même frénésie, si bien que la patronne, affolée, décida de faire appel à un médecin pour la faire examiner.
Le médecin arriva en fin de journée, il demanda à la patronne de quoi souffrait Marie, et la patronne, lui raconta tout ce que Marie faisait :
« Depuis quelques temps, Marie à changé de comportement, au début, elle était calme, mais maintenant, elle fait n'importe quoi, l'autre jour, elle a cassé la vaisselle, une autre fois, elle a renversé tout le lait de la traite sur moi, dans l'étable, c'est une vrai furie, elle me fait peur, elle est peut être dangereuse, on ne sait jamais ce qu'elle va faire ! ».
Le docteur examina donc Marie et trouva que la jeune femme était particulièrement énervée, surexcitée même, il se retourna vers la patronne et dit :
« Vous savez Madame, Marie n'est pas complètement folle, mais elle ne va pas tarder à le devenir, je suis assez inquiet pour elle ! ».
Ce qui avait orienté le diagnostic du médecin, c'était la rougeur excessive des yeux de Marie. Le médecin ne savait pas qu'elle pleurait tous les jours, il conclut à une très grande fatigue nerveuse et dit pour finir :
« Si elle a laissé des enfants chez elle, il faut la laisser repartir, sinon, elle risque de faire de graves bêtises ! ».
Deux jours plus tard, Marie prit le train avec un accompagnateur, qui l'escorta jusqu'à la frontière, ensuite, il fallut encore deux jours à Marie pour arriver jusque chez elle, mais le temps, le froid et la faim n'avaient aucune importance, elle allait revoir ses enfants, et son époux ! C’est tout ce qui comptait pour elle.
Elle avait réussit, son plan avait marché à merveille, la joie revenait petit à petit en elle, elle marchait sans compter les kilomètres, et, au détour d'un virage, elle aperçut... Sa maison !
Elle était tellement plongée dans ses pensées, qu'elle ne s'était pas rendue compte qu'elle était déjà arrivée, et la vue de sa maison lui coupa le souffle. Elle s'adossa un instant contre un arbre, tremblante d'émotions diverses mais toutes très intenses.
Elle éprouvait à la fois une joie extrême à l'idée de retrouver sa famille, et une peur indescriptible à la seule pensée que sa petite fille ne la reconnaisse pas, cela la terrifiait. Elle voulait courir vers sa maison, mais quelque chose la retenait, finalement, c'est lentement, presque avec hésitation qu'elle s'avança vers sa maison.
C'est au moment ou Marie poussait le portail du jardin que Victor apparut au coin de la maison, il regarda distraitement la personne devant le portail du jardin, pensant qu'il s'agissait d'une voisine venue aux nouvelles, fit un ou deux pas, et se figea, laissant tomber au sol le tas de bois qu'il était allé cherché dans la grange :
« Marie ! » murmura-t-il
« Marie ! » répéta-t-il un peu plus fort
« C'est bien toi Marie ? » demanda Victor, qui n'en croyait pas ses yeux, a présent il courrait vers sa bien aimée, et en trois grandes enjambées, il fut tout près d'elle et la serra dans ses bras avec toute la force de sa joie et de son amour.
Il couvrit le visage et les cheveux de Marie de baisers, des larmes coulaient sur le sien.
« Victor, c'est si bon de te revoir enfin ! Où sont les enfants ? » Demanda Marie,
« Viens, ils sont derrière, dans le jardin, ils s'amusent tous les trois, ils vont très bien tu sais, et la petite à bien grandi, tu vas voire ! ».
En entendant les voix des adultes, les enfants s'étaient retournés, et c'est Stéphane, l'aîné des garçons qui réagit le premier, il bondit sur ses pieds et se précipita vers sa mère en criant :
« Maman, maman, tu es enfin revenue ! Yvan, Yvan, regardes, c'est maman qui est revenue ! »
Yvan arriva aussitôt, et se rua littéralement sur sa mère, manquant de la faire tomber :
« Maman c'est bien vrai, tu es rentrée pour de bon ? » demanda le garçonnet, un peu inquiet,
« Oui mon chéri, c'est bien vrai, je suis là pour de bon ! » répondit Marie en serrant ses fils dans ses bras.
Victor arrivait en tenant la petite Catherine dans ses bras :
« Oh ! Mon Dieu, comme elle a grandit ! » Dit Marie émue aux larmes « Comme tu es belle ma petite chérie ! » Dit-elle en approchant de la fillette, mais quand elle tendit les bras pour prendre sa fille, la petite se recula contre son père et se mit à pleurer. Marie savait qu'il fallait quelques jours à la petite pour s'habituer à sa présence, mais le refus de la petite était tellement net, définitif, que Marie ne pus le supporter, et elle se mit à pleurer. Dans ses larmes s'écoulaient toutes les souffrances de ses derniers mois, tout le chagrin, toute la lassitude, enfin, elle se laissait aller, pleurer lui faisait du bien.




Marie avait raconté à son mari tout ce qu'elle avait vécu en Allemagne, les différentes fermes et leurs patrons tout aussi différents, elle raconta à Victor, non sans sourire, comment elle avait réussi à tromper le patron de la dernière ferme où elle travaillait, et le docteur du village en se faisant passer pour une folle :
« Ils sont bien plus fous que moi ! » avait conclu Marie en souriant,
« mais maintenant, je suis ici, chez nous, et je peux vous promettre que plus personne ne nous séparera jamais, non, plus jamais ! ».
elle avait froncé les sourcils et plissé les yeux en disant cela, comme si elle lançait un défi à quelqu’un, mais à qui ?




























CHAPITRE 9









Petit à petit, tout doucement, la vie reprit son cours normal, Catherine avait repris l'habitude de la présence de Marie, et au bout d'une seule semaine, la petite avait oublié jusqu'à l'absence de sa mère.
Marie reprenait goût à la vie, elle était toujours de bonne humeur, encore plus souriante qu'avant son départ, tout allait bien, les enfants grandissaient bien, ils étaient tous les trois en excellente santé, et Victor était toujours aussi gentil, il avait tenu sa promesse, et s'était occupé des enfants avec amour et patience, même s'il n'avait pas toujours été très adroit, les enfants n'avaient manqué de rien, sinon de leur mère !
Le bonheur était de nouveau dans la maison, mais cela ne devait pas durer !
Enrôlé de force à son tour dans cette sale guerre, Victor du partir et laisser sa famille au village.
Marie pleura beaucoup, elle se demandait si tout cela s'arrêterait un jour, c'était si difficile de se séparer de ceux qu'on aime !
Elle allait encore se retrouver seule pour élever ses trois enfants, et s'occuper de la ferme, cela promettais de longues journées éreintantes, en plus du chagrin, mais pour ses enfants, et en attendant le retour de son cher époux, Marie se devait de tenir bon, elle prit la décision de ne jamais baisser les bras, quoi qu’il arrive !
Avant de partir, pour ne pas laisser sa femme et ses enfants seuls et sans protection en ses temps de guerres, Victor avait demandé à son beau-frère Michael de veiller sur Marie et ses enfants jusqu'à son retour.
A demi soulagée à la pensée de cette présence masculine pour les protéger, Marie partit donc s'installer avec ses enfants chez Michael, le beau-frère.
Avant de laisser son époux partir pour la guerre, Marie avait tenu à lui préparer un sac avec du linge propre et quelques vêtements bien chauds, ainsi que plusieurs sandwichs pour le voyage. Qui savait ce qu'il allait manger ensuite, et quand ?
Marie essayait de se rendre le plus utile possible dans la maison de Michael.
Elle participait à tous les travaux, qu'ils soient domestiques ou fermiers. Nadin, la femme de Michael était une gentille personne, elle et Marie s'entendaient bien, cela facilitait bien des choses, il n’était pas très évident pour Marie d’habiter chez des « étrangers » avec ses enfants, et le fait d’avoir de l’amitié pour Nadin facilitait beaucoup le climat quotidien dans la maison.
L'hiver approchait à grands pas, et il y avait déjà beaucoup de neige dehors.
Il faisait très froid ce jour là, le jour où les soldats partisans sont arrivés au village.
ils ont fouillé chaque maison, chaque ferme pour "réquisitionner" tous les jeunes gens capables de tenir un fusil, c'est à dire tous les enfants à partir de 16 ans.
Stéphane fut emmené aussi, Marie supplia les soldats de lui laisser son enfant prétextant qu'ils avaient déjà leur père et qu'elle avait besoin de lui pour les travaux de la ferme, mais les soldats firent la sourde oreille, et emmenèrent Stéphane avec tous les autres garçons du village.
Marie courrait derrière les soldats en criant :
« Rendez-moi mon fils ! S’il vous plait, rendez-moi mon fils ! ».
Marie courait dans la neige, elle voulait donner une écharpe à Stéphane, mais la neige épaisse la fit trébucher, et elle s'étala de tout son long dans le manteau blanc et froid :
« Stéphane, tiens, prends cette écharpe pour te tenir chaud ! » Cria Marie.
Stéphane tourna la tête et vit sa mère allongée dans la neige, il aurait bien voulu lui venir en aide, mais il ne pouvait rien faire, serré entre les soldats, il était contraint d'avancer, il s'éloigna en colère, des larmes plein les yeux.
Marie, folle de douleur était restée allongée dans la neige, maintenant, elle criait, elle hurlait son désespoir et son chagrin, sa colère aussi !
Nadine s'approcha d'elle, l'aida à se relever et la conduisit à l'intérieur de la maison en disant :
« Viens Marie, on ne peut rien y faire, c'est comme ça, il faut que tu rentres au chaud, il ne faut pas tomber malade, tu as encore deux enfants qui ont besoin de toi ! ».
Marie se laissa guider, mais à peine à l’intérieur de la maison, elle s’accroupit et serra ses deux enfants très fort contre elle, tout en priant encore plus fort pour la survie de son fils aîné et celle de son mari.

Chaque jour, Marie attendait fébrilement l'arrivée du facteur, dans l'espoir de recevoir des nouvelles de Victor ou de Stéphane, pourquoi pas des deux en même temps !
La première semaine, elle resta sans nouvelle, mais bien que bouleversée par ce silence, elle se disait qu'il fallait leur laisser un peu de temps pour qu‘ils s‘organisent, et puis, avec la guerre, le courrier circulait mal.
Mais les semaines sont passées, elles ne se sont transformées en mois, et toujours aucune nouvelle, ni de l'un, ni de l'autre. Maintenant, Marie désespérait, elle allait de villages en villages, pour essayer de recueillir quelques nouvelles, mais rien, personne n'avait de nouvelle de Victor ou de Stéphane.
Marie décida d'aller à Slavonski Brod, c’était un village beaucoup plus grand que Kaniza, mais plus éloigné aussi, elle se dit que peut-être là-bas, quelqu'un aura vu ou entendu quelque chose.
C’était l'hiver et il faisait très froid, mais Marie ne se découragea pas, elle partit à Slavonski Brod.
En chemin, alors qu'elle longeait une rivière, elle s'arrêta soudain, le regard fixé sur une forme qui flottait dans l‘eau.
On lui avait dit que parfois, la rivière charriait des cadavres, et que l'on en retrouvait flottant le long des berges, mais parfois ce n'étaient que de vieux troncs d'arbres ou des objets divers.
Longtemps Marie fixa la surface de l'eau, et, comme dans un cauchemar, elle aperçut au milieu de la rivière à demi gelée, des corps, de soldats et de civils que les Allemands avaient tués.
Marie décida de continuer quand même à regarder le long de la berge, en marchant, elle regardait tous ces pauvres gens, morts si jeunes et dans de telles conditions, elle éprouvait une grande tristesse pour eux, tout cela était vraiment terrible !

A une centaine de mètres de là, ses yeux furent attirés par un objet, une forme qui flottait à la surface de l'eau glacée et que les branches retenaient. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, une idée folle s'installait dans la tête de Marie, c'est mon fils, c'est Stéphane ! Elle cria, appela, mais l'homme ne bougeait pas, alors, dans un élan d'espoir, Marie sauta dans la rivière, l'eau était glacée.
Marie arriva devant le corps du jeune homme, l'attrapa par le bras et le tira jusque sur la berge. Quand elle sortit de l'eau, glacée jusqu'aux os, Marie malgré le froid intense et la peur qui l’avait envahie, n'avait qu'une idée, retourner le corps.
L'eau avait beaucoup déformé le corps et le visage, Marie resta un long moment immobile, à scruter se visage bleu et gonflé, mais même avec de l'imagination, elle ne retrouvait aucun des traits de son enfant sur le visage de cet individu, il était plus âgé que Stéphane, et rien en lui ne rappelait à Marie son fils. Non, il n'y avait aucun doute, ce n'était pas Stéphane, quel soulagement !
Marie laissa là ce pauvre corps inconnu, et retourna vivement chez elle pour voir ses enfants. Demain, elle y retournerait, l'espoir subsistait toujours.
Les jours passaient, et Marie continuait ses inlassables recherches de villages en villages pour essayer de trouver des nouvelles de son fils ou de son mari.

Un jour, au tout début du printemps, un vieil homme lui dit qu'il avait entendu parler d'un jeune homme qui vivait dans une cabane de l'autre coté de la rivière, il était soigné par une femme veuve, car il avait le typhus, et comme c'est une maladie très contagieuse, il fallait attendre qu'il soit complètement guéri, et c'est pour cela qu'il ne pouvait pas rentrer chez lui, mais le vieil homme ne connaissait pas le nom du jeune homme, il savait juste vers où était la maison.
Cette fois, Marie en était sûre, c'était SON Stéphane qui était dans la maison, il ne pouvait pas en être autrement ! Depuis le temps qu’elle le cherchait !
Marie décida d'aller voir tout de suite cette maison, mais le premier pont était à des kilomètres, et Marie était pressée.
Elle partit à la recherche d'une embarcation, n'importe laquelle, pourvu qu'elle puisse lui faire traverser la rivière. Elle trouva enfin une petite barque, monta dedans sans rien demander à personne, et se mit à ramer vigoureusement vers l'autre rive.
La rivière était large, et Marie, toujours trempée, avait bien du mal à avancer, ses membres étaient engourdis par le froid, elle grelottait, mais seul son désir ardent de revoir son fils la poussait en avant, malgré le froid.
Pendant qu'elle ramait, Marie fut assaillie de doutes :
« Et si ce n'était pas lui, si je m'étais encore trompée, quelle déception ! Mais il faut que j'en aie le cœur net ! Et puis, si ce n'est pas SON fils, c'est le fils de quelqu'un d'autre, et peut être pouvait-elle aider quand même ! » Se disait-elle, alors elle continua d'avancer.
Enfin, elle atteignit l'autre rive. Elle attacha la petite barque à un arbre enraciné au bord de l'eau, et se précipita sur le chemin, elle se mit à courir.
Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, et avec ce froid mordant, elle avait bien du mal à respirer, mais peu lui importait, elle voulait savoir.
Cette incertitude était pire que tout, mais quel terrible choc si, en ouvrant la porte elle ne reconnaissait pas Stéphane, si ce jeune homme était quelqu'un d'autre !
Elle trouva rapidement la maison.
Devant la porte, elle s'arrêta un instant, toute tremblante d'émotions et de froid, enfin elle se décida, et ouvrit la porte d'un geste vif, presque brutal. Tout était calme et silencieux, il semblait n'y avoir personne. Marie referma la porte et s'avança dans la pièce principale, qui servait à la fois de salle à manger et de cuisine. Au fond de la pièce, il y avait une porte, fermée, Marie s'y dirigea.
Elle ouvrit la porte et découvrit une modeste chambre, meublée d'un lit, d'une petite commode et d'une armoire, dans un coin, une vieille chaise.
Sur le lit, quelqu'un dormait, enroulé dans d'épaisses couvertures, d'où elle était, Marie ne pouvait pas distinguer le visage du dormeur, alors, elle s'approcha en appelant :
« Stéphane ! Stéphane, c'est toi ? »
Le jeune homme bougea sous les couvertures, sorti la tête et se retourna.
« STEPHANE ! » Cria Marie.
Elle se précipita vers le lit et tomba à genoux :
« Mon chéri, je t'ai enfin retrouvé ! »
C'est tout ce que Marie avait pu dire, ses larmes de joies, ses sanglots de soulagement empêchait toute parole !
« Stéphane, c'est moi, maman, je suis venue t'aider, je t'ai cherché partout, mais maintenant, je suis là ! Je vais t'aider, et dès que tu iras mieux, je te ramènerais à la maison ! ».
Après les larmes, c'est un flot de paroles, presque ininterrompu, que Marie adressait à son fils.
Marie avait eu raison de garder espoir, si minime soit-il parfois !

Stéphane était très malade, il avait attrapé le typhus, Marie savait qu'elle prenait le risque d'être malade à son tour, mais il s'agissait de Stéphane, de son fils, la chair de sa chair, il était malade et avait besoin d'elle, c'est tout ce qu'elle voyait, tout ce qui comptait, le reste... On verrait bien par la suite !
La porte d'entrée s'ouvrit, et Marie, complètement paniquée, crut un instant que c'étaient les Allemands qui revenaient chercher Stéphane, son cœur se serra, ses poings aussi, mais en se retournant, elle vit que c'était une vieille femme, chargée d'un panier. Elle posa son panier, et en sorti de la soupe encore chaude, elle en versa dans une assiette et se dirigea vers le lit. En passant, elle regarda Marie sans rien dire, et s'adressant au jeune homme elle dit :
« Stéphane, je t'apporte une assiette de soupe chaude ! Il faut que tu manges un peu ! » Puis, elle se retourna vers Marie et dit :
« Bonjour, je m'appelle Eva, qui êtes vous ? »
« Marie, je m'appelle Marie, je suis la mère de Stéphane, je le cherche partout depuis des mois ! J’ai même crains le pire, je pensais qu’il avait peut-être été tué par les Allemands, mais Dieu merci ! Il est vivant, et, grâce à vous, il est là. Merci, merci de vous êtres occupés de lui, je vous en suis infiniment reconnaissante ! ».
Eva raconta à Marie comment elle avait trouvé Stéphane :
« J'étais partie chez ma fille, je m'y suis installée depuis que les allemands rôdent dans le village, je ne voulais pas rester seule ! Je suis venue pour prendre du linge propre, et ramasser les oeufs, et en arrivant ici (vous êtes dans ma maison) je l'ai trouvé inconscient, recroquevillé dans un coin, brûlant de fièvre. Il était vraiment très malade. Depuis, je viens chaque jour lui apporter de la soupe et de l'eau, le soir, j'allume le feu comme ça, il a bien chaud toute la nuit ! ».
« Comment pourrais-je vous remercier ? » dit Marie,
« Vous avez tant fait pour mon enfant, je vous remercie, mais ne vous donnez plus de peine, a partir de maintenant, je vais m'occuper de lui ! »
« Si vous voulez, mais je viendrais quand même vous apporter de la soupe tous les jours, pour vous deux, et vous pouvez rester ici autant de temps que vous le voulez, je vais rester chez ma fille un long moment, je pense. » répondit Eva.
Marie resta très longtemps avec son fils, épuisée, elle lui dit :
« Il est très tard Stéphane, je vais rentrer à la maison, je reviendrais demain matin avec du linge propre, et de la soupe, je vais essayer de trouver un médecin qui me donnera des médicaments pour toi ! » Elle se pencha et embrassa le front humide de son fils.
Il faisait nuit depuis longtemps quand elle reprit le chemin du retour, et l'aube n'était pas très loin quand elle arriva chez elle, mais Marie ne sentait pas la fatigue, elle était trop heureuse d'avoir retrouvé son fils ! Elle se mit à la recherche du médecin du village, par chance, il était dans une ferme voisine, et donna quelques remèdes, et quelques recommandations à Marie.
De retour chez elle, Marie se hâta de préparer de la soupe bien chaude, dans laquelle elle ajouta un morceau de lard et un peu de pain, "ça lui redonnera un peu de force !" pensait-elle, puis elle reprit le chemin de la veille, empruntant la même petite barque, restée là où elle l'avait laissée.
Chaque jour, Marie refaisait le même chemin, la même traversée de la rivière, et allait ainsi nourrir et soigner son fils. Dès que Stéphane se sentit mieux, Marie le ramena enfin à la maison où il repris vite forces et vigueur.









CHAPITRE 10









En 1945, alors que la guerre était sur le point de se terminer enfin, les hommes commençaient à rentrer chez eux, certains avaient beaucoup souffert des privations et du froid, d'autres avaient de vilaines blessures, mais ils étaient là, enfin de retour chez eux, dans certaines maisons, c'était la fête, dans d'autres, les pleurs et les lamentations, tout le monde n'avait pas eu la même chance !
Chaque fois qu'un homme revenait chez lui, Marie se précipitait chez lui pour demander des renseignements sur son mari Victor, mais personne n'avait vu ou entendu parler d'un Victor ! Marie désespérait, elle avait peur qu'il ne soit mort, elle refusait cette vérité car tout au fond de son cœur, elle sentait que son mari était encore vivant.
Victor avait été fait prisonnier.
En 1945, quand les Allemands se replièrent, les prisonniers et les hommes enrôlés de forces servaient d'otages et de protection jusqu'à ce qu'ils aient passé la frontière autrichienne, ensuite, les pauvres prisonniers étaient libérés, lâchés en pleine nature, ou bien tués, cela dépendait un peu de qui les prenaient en otage !
Victor fut désarmé et libéré juste après la frontière autrichienne, les Allemands lui dirent de partir vite, droit devant lui, Victor n'avait rien, ni eau, ni nourriture, ni même une couverture pour les froides nuits.
Il rentra donc chez lui, à pied, en se cachant de peur de se faire reprendre.
Il marchait à travers les bois. Ce fut une longue et pénible épreuve pour lui, mais Victor s'accrochait, il gardait en tête que chacun de ses pas le rapprochait de chez lui, et cette seule pensée suffisait à le faire avancer sans tenir compte du froid, ni de la faim, ni de la soif, pas même de la peur !
Quand il trouvait un endroit assez sécurisé pour dormir, Victor rêvait de sa famille, il les retrouvait tous en bonne santé, heureux et souriant, mais quand il était éveillé, Victor se demandait dans quel état il allait retrouver sa maison, et comment allaient Marie et les enfants, lui non plus n'avait jamais eu de nouvelles de sa famille !
Victor marchait des jours entiers, parfois même une partie de la nuit, c'est qu'il avait quand même cinq cent kilomètres à faire pour arriver chez lui, et à pied, en tenant compte du fait qu'il doive se cacher, essayer de manger et de dormir, tout cela allait lui prendre un temps interminable, mais qu'importe, il serait bientôt de retour près des siens.
Chaque jour, Victor s'affaiblissait d'avantage, le manque de nourriture, et aussi d'eau, le rendaient plus vulnérable, il arrivait à manger une fois tous les deux jours, ce n'était vraiment pas beaucoup, il avalait un peu de polenta, c'était une farine de maïs, qu'il faisait cuire au fond d'une boite de conserve, il ramassait un peu de bois, posait la boite en équilibre, à cheval sur deux pierres, avec la farine dedans, un peu d'eau et commençait la cuisson de son repas.
Un soir, alors qu'il préparait son dîner, Victor vit un homme qui venait à sa rencontre, après un instant d'hésitation, il reconnut Robert, un homme de son village ! Lui aussi il rentrait chez lui, il avait été libéré à une centaine de kilomètres de là, environ, il était fatigué, très maigre et grelottant.
Victor l'invita à partager son repas près du feu, il rajouta donc un peu de farine dans la boite, et s'aperçu que c'était la fin, il n'y avait plus de farine, désormais, il faudrait trouver une autre nourriture, mais maintenant, ils étaient deux, et ce serait peut-être moins difficile de se procurer de la nourriture ou de braconner discrètement.
Les nuits mais surtout les jours étaient difficiles, car en plus de lutter contre la faim, Victor et Robert devaient aussi lutter contre le froid, la soif, la peur, et les balles perdues, sans compter les explosifs en tous genres (grenades, mines, mortiers,...) et les Allemands bien sûr !






Marie perdait espoir au fil des jours qui passaient.
Elle n'avait toujours aucune nouvelle de son époux, tous les hommes qui étaient rentrés lui avaient répondu la même chose :
« Je suis désolé, je ne connais ni n'ai jamais entendu parler d'un Victor ! ».
Elle avait été voir le curé du village pour lui demander de célébrer une messe en mémoire de son époux qu'elle croyait mort.
A la sortie de la messe, Nadine, la sœur de Victor dit à Marie :
« Dis-moi, tu ne voudrais pas venir avec moi chez un homme qui sait lire dans les cartes et voir dans l'avenir ? Il te dira peut-être si Victor est encore en vie ou non ! »
« Mais non, je ne veux pas aller voir ton bonhomme, je ne crois pas à toutes ces choses là ! » répondit Marie, mais Nadine insista :
« Mais si, viens ! De toute façon, tu ne risques absolument rien, viens, juste pour savoir ce qu'il va nous dire ! »
« C'est bon, tu as gagné, je viendrais avec toi voir ton bonhomme ! » Dit Marie un peu agacée.
Elles partirent tôt le lendemain matin, afin de prendre tout leur temps. Elles arrivèrent à destination.
« Bonjour Monsieur ! » dit Nadine
« Bonjour mesdames, entrez, venez vous asseoir dans le salon ! » Répondit l'homme en se retirant pour laisser passer les femmes devant lui.
Nadine expliqua à l'homme la raison de leur visite. L'homme attrapa ses cartes et les jeta sur la table, ensuite, il s'assit et commença à mélanger les cartes entre ses mains.
Il en posa sept sur la table, face cachée, et les retourna une par une. Il regarda les cartes et demanda à Marie :
« Vous me dites que vous n'avez aucune nouvelle de votre mari, pourtant, les cartes me disent que votre mari est vivant, et qu'il vous a envoyé un message il n‘y a pas très longtemps ! ». Marie regarda l'homme avec des yeux écarquillés par l'étonnement, elle se tourna vers Nadine et dit :
« Viens, tu vois bien que cet homme se moque de nous ! » puis, se tournant vers l'homme elle ajouta :
« Je n'ai jamais eu de nouvelle de mon mari ! Jamais ! ».
Furieuse, Marie attrapa sa belle sœur par la main et l'entraîna dehors.
Elles marchaient pour rentrer chez elles, quand Nadine remarqua un homme qui semblait venir vers elles, après un court instant, elle se tourna vers Marie et lui dit :
« Regardes ! C’est Robert, le fils du boulanger, je ne savais pas qu'il était rentré ! »
« Moi non plus ! » répondit Marie, puis elle ajouta :
« Peut-être que lui, il aura des nouvelles de Victor ? ».
Le temps qu'elles discutent, Robert était arrivé près d‘elles, un peu essoufflé, il dit à Marie :
« Bonjour Marie, j'ai vu Victor, il va bien, il sera bientôt là ! ».
Marie sentit ses jambes se dérobées sous elle, elle s'accrocha au bras de Nadine pour éviter de tomber.
Après quelques minutes, Marie demanda :
« Tu, tu as vu Victor ?! Où est-il ? Pourquoi n'est-il pas encore là ? Tu es certain que c'est bien lui, que mon Victor n'est pas mort ? ».
Marie s'énervait, elle voulait tout savoir.
« Non il n'est pas mort ! Puisque je te dis que j'ai mangé avec lui il y a quelques jours, je t’assure qu'il va bien et qu'il sera bientôt là ! ».répondit Robert amusé.
Marie s'approcha de Robert, lui sauta au cou, posa un gros baiser sonore sur sa joue piquante et dit :
« Merci ! Merci beaucoup ! Tu ne sais pas à quel point je désespérais de le revoir un jour, j'ai vraiment cru qu'il était mort ! Tu es un ange venu tout droit du ciel ! ».
Marie et Nadine repartirent en direction de leur maison, elles semblaient si légère tout à coup , on aurait dit que leurs pieds ne touchaient pas le sol !
« Tout compte fait, l'homme qui lisait dans les cartes que Victor était encore vivant et qu'il m'envoyait un message avait tout à fait raison ! C’est extraordinaire, mais comment fait-il ? » Demanda Marie
« Il dit que c'est un don qui lui vient de sa mère, qui elle, le tenait de sa mère, il ne sait pas jusqu‘à quelle époque ça remonte ! » Répondit Nadine.
« J'espère qu'il a raison pour tout, et que Victor est bien vivant, il peut se passer tant de choses en deux jours ! » Ajouta Marie le regard sombre.
Arrivées chez Marie, les deux femmes racontèrent aux enfants leur rencontre avec Robert, et les bonnes nouvelles qu'il avait apportées, ainsi que les prédictions de l’homme aux cartes. Les enfants étaient ravis de savoir que leur papa allait bientôt être à la maison, ils sautaient dans tous les sens !
Victor se rapprochait toujours de chez lui, enfin, au détour d'un virage, il aperçut la première maison de son village :
« Enfin, je suis arrivé chez moi, mais avant de rentrer, il faut que j'aille à la mairie ! » Dit-il à haute voix, pour lui-même, pour bien réaliser le fait qu'il soit enfin de retour chez lui !
Quand il franchit le seuil de la mairie, Victor ne ressemblait plus vraiment à un humain, les vêtements en morceaux, la barbe et les cheveux longs, et il était si maigre, il ne pesait plus que 30 kilos, personne ne le reconnaissait ! On aurait dit un squelette vivant, drôle d'impression pour ces bureaucrates guindés !
Il avait besoin d'un papier qui lui servirait de carte d'identité, jusqu'à ce que l'officielle soit prête.
Il était vital pour lui de pouvoir justifier de son identité en cas de contrôle par la police, c'était pour cela qu'il était allé à la mairie aussi vite, ces choses là prenaient beaucoup de temps, et il ne fallait pas en perdre une seule seconde.
« Vous n'êtes pas inscrit dans cette mairie ! Je vais voir ce que je peux faire pour vous ! » dit l'employé
« Je viens retrouver ma femme et mes enfants qui sont chez ma sœur et son mari ! » expliqua Victor
« Quel est le nom de votre beau-frère ? » Demanda l'employé de la mairie, Victor ouvrit la bouche pour donner la réponse, mais rien ne sorti, il n'arrivait pas à se souvenir du nom de son beau-frère !
« Donnez-moi le nom de famille de votre beau-frère ! » insista l'employé
« Je…Je ne sais plus, je n'arrive pas à m'en souvenir ! » Répondit Victor, complètement désemparé !
« Vous ne savez plus ? Vous êtes en train de me dire que vous avez oublié le nom de votre beau-frère ?! C’est une blague ? » S’écria l'employé de mairie « Non monsieur, je ne me souviens pas de son nom, et pourtant, je vous dis la vérité, ma femme et mes enfants sont ici, dans ce village, vous pouvez me torturer, me tuer même, mais cela ne changerait rien, je ne me souviens pas du nom de mon beau-frère ! ». Victor était perturbé, il avait les larmes aux yeux, sa voix tremblait, cette absence, ce trou de mémoire lui faisait peur.


La souffrance, la fatigue d'un si long voyage, la malnutrition, la déshydratation, peut-être aussi la peur des souvenirs d'avoir été pris, capturé et d'avoir servit (contre son gré) les Allemands, tout se mélangeait dans sa tête, la mémoire lui faisait défaut, rien à faire, il avait beau se creuser la tête, essayer de trouver, rien à faire, le néant, ce fichu nom lui échappait !
L'employé de mairie lui proposa un marché :
« Quelqu'un va vous accompagner jusqu'à l'endroit que vous indiquez, si tout est vrai, vous n'aurez pas d'ennuis, par contre, si c'est un mensonge, vous aurez de sérieux problèmes, d’accord ?", Il interpella un de ses secrétaires :
« Conduisez-le là où il vous le dira, et vérifiez bien qu'il soit connu à l'adresse indiquée ! ».
Victor et son accompagnateur prirent le chemin de la maison. Tout en marchant, Victor continuait désespérément à chercher le nom de famille de son beau-frère, au bout d'un moment, il s'arrêta brusquement, posa la main sur le bras de l'homme qui l'accompagnait et s'exclamât :
« Oui, c'est ça ! Oui, je m'en souviens maintenant, c'est Kaplun, le nom de mon beau-frère, c'est Kaplun, K A P L U N épela-t-il. »
« Mais je le connais, ton beau-frère, il habite bien là où tu le dis, mais les rues ne sont pas sûres, je vais t'accompagner jusqu'au bout quand même ! » Répondit l'employé.
L'homme laissa Victor à une petite dizaine de mètres de la maison, il salua Victor, lui souhaita bon retour parmi les siens et il repartit vers la mairie.
Plus il s'approchait de la maison, plus il semblait à Victor que ses jambes devenaient lourdes. Il n'était plus qu'à deux ou trois mètres du portail de la maison à présent, et d'un bond, le chien se rua sur lui pour lui faire fête.
La petite Catherine, qui jouait dans la cour, vit un homme s'approcher de chez elle, Victor vit la petite fille, elle avait bien grandi depuis le temps qu'il était partit !
« Catherine ! Catherine, c'est moi, c'est ton papa, n'aies pas peur, je suis ton papa, je suis revenu à la maison ! » Lui dit Victor, mais la fillette n'avait pas reconnu son père, il avait tellement changé pendant ces années d'emprisonnement, apeurée, la fillette partit à toutes jambes et en criant :
« Maman, maman, il y a un homme qui veux rentrer dans la cour ! Maman, viens vite ! »
Marie, inquiétée par les cris de sa fille, regarda par la fenêtre, et vit un homme, bien mal en point, debout dans la cour.
Sur le moment, elle ne le reconnut pas, mais malgré tout, cette silhouette, cette façon de se tenir, lui étaient familières, d’un seul coup, tout devint clair :
« Victor ? » demanda t-elle, mais avant même que l'homme n’ai ouvert la bouche, Marie arrivait vers lui en courant :
« Victor ! C’est bien toi ? Enfin ! » Dit-elle en se jetant à son cou
« Je ne te reconnaissais pas, tu as tellement changé, tu es si maigre ! Mais viens, ne reste pas là, rentre à la maison, je vais te faire un bon dîner ! Je suis si heureuse de te revoir ! ».
Victor serra sa femme dans ses bras, il ne disait rien, il pleurait, de joie d'abord, de soulagement ensuite. Catherine regardait l'étrange couple avec des yeux agrandis par l'étonnement. Marie se retourna vers sa fille et lui dit :
« C'est papa ma chérie, tu ne le reconnais peut-être pas, mais c'est bien lui, c'est bien ton papa ! ».
Victor savait qu'il ne fallait pas brusquer la fillette, mais il l'attrapa et déposa un énorme baiser sur la petite joue, avant de laisser la fillette partir en courant vers la maison :
« Elle a drôlement grandit, elle est aussi belle que sa mère ! « Dit Victor ému à sa femme, non moins émue.
Assis autour de la table, les garçons n'en revenaient pas de voir Victor de retour, ils s'étaient habitués à son absence, mais ils étaient vraiment contents de le voir rentré à la maison !
Victor avait très faim, Marie lui servit une bonne soupe bien chaude, qu'il avala d'un trait, il avala tout ce que Marie lui posait sur la table, c'était si bon de manger, et de manger en sécurité en plus ! Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas fait un vrai repas !
Quand il eu fini, épuisé, ses yeux se fermèrent malgré lui, sa tête se fit lourde et pencha vers la table, instinctivement, ses bras lui servirent d'oreiller, il s'endormit.
Marie, aidée de sa fille, emmena Victor jusque dans la chambre, pour qu'il puisse y passer plus confortablement sa première nuit d'homme libre !
Pendant les jours qui suivirent, Victor dû réapprendre tous les gestes de la vie quotidienne, la première chose, fut de réapprendre à manger.


Marie lui donnait plusieurs fois à manger, mais de petites quantités à chaque fois. Il fallait laisser le temps à l’estomac de se réhabituer à la nourriture, régulièrement ! Il fallait aussi que Victor réapprenne à dormir plusieurs heures à la suite, qu'il réalise qu'il était maintenant en sécurité.
Il fallait avancer progressivement, Victor devait presque tout réapprendre des gestes quotidiens du travail de fermier et de celui de cultivateur, il devait aussi essayer d'oublier toutes les souffrances qu'il avait endurées pendant toutes ces années de guerre, ces camarades blessés, agonisants ou morts, les bruits des fusillades, les cris des prisonniers torturés, blessés ou malades, tant de choses à oublier !
A présent, Victor récupérait du manque de sommeil, il dormait presque toute la journée, parfois, Marie, inquiète, de le voir tant dormir avait peur qu'il ne se réveille pas, alors, elle allait réveiller son époux, le forçait à s'habiller et à marcher dans la cour de la ferme.
Petit à petit, Victor reprenait forces et vigueur.























CHAPITRE 11








Marie et Victor reprenaient leur vie quotidienne, le printemps n'était plus très loin, et Victor préparait la terre pour les futures semailles;
Stéphane avait maintenant 23 ans, il était parfaitement remis de sa maladie, et avait repris toute ses forces. Il fréquentait une jeune fille du village depuis quelques mois déjà, mais il n'en parlait jamais à personne, sauf peut-être à son frère ?
Un dimanche matin, alors que Victor et Marie se préparaient pour aller à la messe, Stéphane sorti de sa chambre et dit :
« Maman, je voudrais te dire quelque chose, à toi et à tout le monde ! ». Marie tourna la tête vers son fils et lui demanda d'emblée :
« J'espère que ce n'est rien de grave ? Tu as l'air bien sérieux ! »
« Mais non maman ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas comme ça tout le temps, c'est même une bonne nouvelle, je vais me marier ! » Dit Stéphane.
Marie fit face à son fils, les yeux écarquillés d'étonnement, la bouche ouverte.
Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait un fils aussi grand, hier encore, il jouait dans la cour avec son petit frère et la petite Catherine, et aujourd'hui, il va se marier ! Marie n'avait jamais réalisé que ses enfants avaient grandis, et que maintenant, il lui fallait penser autrement... Marie s'est perdue dans ses souvenirs, c'est la voix de son fils qui la ramena dans le présent :
« Maman, tu as entendu ce que je viens de dire ? Je vais me marier ! ».
Marie s'approcha de son enfant et le serra dans ses bras, émue et un peu triste de constater combien le temps passait vite !
« Je te félicite mon fils et te souhaite tout le bonheur du monde ! Quand nous présenteras-tu enfin ta fiancée ? » Demanda t-elle,
« Vous la rencontrerez tout à l'heure, à l'église, je vous la présenterais ! ».
Marie termina de se préparer et partit aussi vite que possible à la messe, elle avait hâte de rencontrer la future femme de son fils !
A l'église, Marie vit Stéphane s’approcher d'une jeune fille, elle était vraiment très jolie, c'était une belle brune, avec une peau aussi lisse que du satin, et de beaux yeux d'un bleu profond.
Marie attendait avec impatience que l'office se termine, ce n'était pas dans ses habitudes, mais aujourd'hui était un dimanche particulier, et elle avait hâte de parler un peu avec cette si jolie jeune fille dont elle ne savait même pas encore le prénom.
Dès la fin du sermon du prêtre, Marie attrapa Victor par la main et lui dit :
« Viens, je ne voudrais pas qu'elle nous attende ! »
Stéphane sortit enfin de l'église, et saisi la main de la jeune fille à coté de lui, il l'entraîna vers ses parents :
« Maman, je te présente Hélène, ma fiancée, Hélène, voici ma mère, et Victor, son mari, mon jeune frère Yvan et ma petite sœur Catherine ! Je vous présente à tous Hélène, ma future femme ! »
« Bonjour Madame, Monsieur, bonjour à tous ! » dit timidement la jeune fille
« Bonjour ! » Répondirent ensemble Marie et Victor
« Soies la bienvenue parmi nous Hélène ! », dit Victor
« Nous sommes ravis de te rencontrer ! » ajouta Marie, puis se tournant vers son fils :
« J’aimerais bien que tu amènes Hélène à la maison pour dîner ! »
« Maman, je te promets que je l'ai déjà invitée à venir dîner dimanche prochain ! » répondit Stéphane
« C'est très bien » dit Marie, puis, se tournant vers Hélène « c'est entendu, je vous attends toi et tes parents pour dimanche prochain ! »
« Oui madame, dimanche prochain » répondit Hélène d'une voix douce.
« Nous rentrons à la maison maintenant ! » Dit Marie « Au revoir ! »
Elle repartit vers chez elle en compagnie de Victor, laissant les amoureux ensemble.
La semaine se déroula sans heurts ni tracas particuliers.
Le dimanche arriva enfin.
Hélène arriva avec ses parents, elle était très nerveuse, mais Marie et Victor étaient gentils de nature, et le repas, ainsi que la journée se déroulèrent dans une ambiance amicale et joyeuse.
Marie, Victor et les parents d'Hélène se mirent d'accord pour offrir aux jeunes gens un très beau mariage et partager toutes les dépenses occasionnées par une telle fête.

Stéphane et Hélène se marièrent un mois plus tard. La cérémonie fut une réussite totale, Marie était enchantée, tout s'était passé comme prévu. La fête avait duré presque 3 jours, la cérémonie avait été célébrée le samedi martin à l'église du village, et les derniers invités avaient quitté la maison de Marie le lundi après-midi.
Quelques semaines après son mariage, Stéphane prit la décision de quitter la maison familiale pour aller s'établir avec sa jeune épouse à Vukovar, une ville située au bord du Danube, Stéphane y avait trouvé du travail.
Marie comprenait le départ de son fils, mais elle avait quand même beaucoup de chagrin.
Les jeunes mariés partis, Marie resta avec sa fille Catherine, son fils Yvan et son époux. La vie continuait, imperturbable !

Deux ans plus tard, Yvan annonça à son tour son futur mariage avec une jeune fille du village.
Contrairement à son frère aîné, Yvan resta au village, tout près de sa mère, ainsi, Marie pouvait voir le jeune couple les dimanches, et tous ensemble passaient des journées délicieuses.















Stéphane avait eu deux fils, et Yvan deux filles. Marie avait souvent ses petits enfants à la maison, elle en était ravie, et même s'ils étaient quatre petits diablotins, Marie ne s'en lassait jamais, et puis Catherine, âgée maintenant de 18 ans, lui prêtait main forte pour surveiller tout ce petit monde.
Catherine était devenue vraiment jolie, elle avait les yeux bleus, et de magnifiques cheveux blonds. Marie et Victor étaient très fiers de leur fille. Une incroyable complicité s'était installée entre mère et fille, et un jour, en revenant d'une promenade, Catherine dit à sa mère :
« Maman, je crois bien que je suis amoureuse ! »
Émue aux larmes, Marie prit sa fille dans ses bras, l’embrassa et lui dit :
« Je peux savoir qui est le garçon chanceux qui à réussi à prendre le cœur de ma fille ? »
« Oui, c'est Nicolas, le fils de Vladimir Havrilov »
« Oui, je connais Vladimir et sa femme, ils sont gentils, mais je connais très peu leur fils"
« Je vais bientôt te le présenter, veux tu en parler à papa ? »
« Oui, évidemment ! » répondit Marie
« Merci maman chérie, je t'aime très fort tu sais ! » dit Catherine
« Je la sais, et je t'aime aussi très fort ! Maintenant, je vais aller commencer à préparer le dîner, veux tu aller me chercher de l'eau s'il te plait ? »
« J'y vais tout de suite ! » Dit la jeune fille, et elle partit sur-le-champ.
Restée seule, Marie ne pus retenir ses larmes. Elle avait du mal à croire que sa petite fille, la dernière de ses enfants allait bientôt se marier aussi, bientôt, elle serait seule à nouveau, dans son cœur, heureusement que son cher Victor était là, lui, il ne la quitterait jamais, il était si gentil, si tendre. Marie sécha ses larmes, et se houspilla à haute voix :
« Qu'est-ce qui te prends ma pauvre Marie, c'est normal que ta fille se marie et qu'elle parte vivre dans sa maison ! Allez, aux fourneaux ! » et elle partit dans la cuisine commencer la préparation du repas.
Le soir venu, Victor rentra du travail, rentra ses chevaux à l'écurie et leur donna à boire et à manger, ils l'avaient bien mérité !
Marie entra à son tour dans l'écurie, et salua son époux, elle venait lui parler de Nicolas, mais elle ne savait pas très bien comment lui annoncer la nouvelle, elle restait là, à le regarder sans rien dire, mais Victor connaissait bien sa femme, il vit tout de suite que quelque chose "chiffonnait" Marie et lui demanda :
« Qu'est-ce que tu veux me dire ? »
« Comment tu sais que j'ai à te parler ? » demanda Marie étonnée
« Tu oublies que tu es ma femmes depuis quelques années déjà, et que je te connais bien, je sais quand tu à quelque chose qui t'ennuies !»
« C'est vrai, j'ai à te parler » dit Marie, puis elle se mit à pleurer.
C'est en sanglotant qu'elle dit à Victor :
« Notre petite fille est amoureuse du fils Havrilov, je crois que c'est très sérieux entre eux »
« Quoi ? » dit Victor, il s'était arrêter de soigner ses bêtes, et maintenant il se tenait planté devant Marie,
« Tu me dis que Catherine est amoureuse et qu'elle veux se marier ? ce n'est pas parce qu'elle est amoureuse qu'elle est OBLIGEE de se marier, ça lui passera, son mariage attendra encore quelques années ! ».
« Je crois que tu n'as pas bien compris mon chéri ! » dit Marie
« Ta fille est vraiment très amoureuse, et je crois moi, qu'elle est prête à se marier ! »
« Mais non, tu dis des bêtises, elle est encore trop jeune pour se marier, je vais aller discuter avec elle et lui faire comprendre qu'elle à tout le temps de penser à se marier ! » Victor reprit son seau terminant ainsi la discussion, c'était clair, il n'y avait plus rien à ajouter !
De retour des écuries, Victor entra dans la maison et trouva sa fille affairée dans la cuisine :
« Viens, j'ai à te parler ! » dit Victor à sa fille, Catherine eut un frisson, le doute ? La peur ?
« Oui papa, je viens ! »
« Assieds-toi près de moi ma fille ! » dit Victor, Catherine jeta un regard vers sa mère qui lui fit un léger signe de tête, la jeune fille compris que sa mère avait parlé à son père.
Un peu nerveuse, Catherine s'assis près de son père qui lui dit :
« Ma petite fille, j'ai appris de ta mère certaines nouvelles te concernant, c'est bien beau d'aimer, mais tu ne penses tout de même pas te marier maintenant, tu es bien trop jeune, et tu es bien chez nous, tu sais, tu devrais en profiter maintenant, car tu ne le sais pas encore, mais crois moi, ce sont tes plus belles années »
« Mais, papa, je l'aime Nicolas, je l'aime vraiment ! » dit la jeune fille
« Je ne t'interdis pas de l'aimer, mais tu ne te marieras pas maintenant, je te conseille de réfléchir à tout ça, tu à tout le temps pour penser à te marier, tu es si jeune ! ».
Un éclair de tendresse traversa les yeux de Victor, il l'aimais tant sa petite Catherine !
« Mais papa, j'aime vraiment Nicolas, et j'ai déjà décidé que ce serait lui mon mari ! » Répondit la jeune fille ; Victor soupira, un grand vide l'envahi et il comprit alors qu'il ne servirait à rien d'insister et d'empêcher sa fille d'épouser son Nicolas, c'était bien plus sérieux qu'il ne l'avait cru ! Marie avait raison.
Un peu dépité, Victor se tourna vers sa fille et lui dit :
« Bon ! Je vois que c'est vraiment sérieux, que tu l'aimes vraiment ! Alors, il va falloir que ta mère et moi on se prépare pour faire une très grande fête, tu diras à ton fiancé que je veux absolument lui parler et qu j‘irais voir ses parents bientôt ! ».
Catherine sauta au cou de son père et l'embrassa en le serrant très fort, comme quand elle était petite et partit en sautillant dans sa chambre, ce geste remis en mémoire à Victor le visage de sa fille toute petite :
« Mon Dieu, comme le temps passe vite ! » Pensait-il. Ses sentiments étaient partagés entre la joie et la tristesse, la joie de voir sa fille épouser un si gentil garçon, né d'une famille de travailleurs honnêtes, et la tristesse de voir Catherine s'éloigner de lui, de la maison.
La maison ! Comme elle allait paraître grande et vide après le mariage !
Marie servit la soupe à Victor, le dîner se déroula dans un silence lourd, chacun mangeait en évitant de regarder l'autre. Catherine débarrassa les assiettes et partit dans la cuisine, alors, Victor dit à sa femme :
« Je suis fatigué ! Je vais me coucher, bonne nuit Marie ! ».
Quand tout fut lavé et rangé, Marie rejoignit son époux dans la chambre.
Elle s'allongea près de lui, il ne dormait pas, au bout de quelques minutes, Marie brisa le silence :
« Il va falloir vendre les vaches, on a besoin d'argent pour le mariage ! »
« Je suis tout à fait d'accord, il faut lui préparer un très beau mariage, à notre fille unique ! » Répondit Victor.
Il se retourna pour cacher son émotion à Marie.



Le lendemain matin, après un rapide déjeuner, Victor dit à sa femme :
« Marie ! Je vais chez les parents de Nicolas, il faut qu'on discute ! ».
Il prit une bouteille de vin et partit.
Arrivé à destination, un peu nerveux, Victor frappa à la porte.
Une femme ouvrit. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, assez boulotte et pas très bien soignée :
« Bonjour Madame ! »
« Bonjour ! » répondit-elle
« Je m'appelle Victor Furda, je suis le père de Catherine »
« Entrez, Monsieur Furda, Victor ! Mon mari ne va pas tarder, il est en train de finir de se raser ! »
« Excusez-moi, je suis venu à l'improviste ! Je n‘aurais peut être pas du ? » Demanda Victor un peu gêné.
« Ce n'est pas gênant ! Venez, asseyez-vous ! »
A peine assis, Victor vit une porte s'ouvrir, et un petit homme apparut :
« Bonjour Victor ! « dit l'homme
« Bonjour Vladimir ! »
Vladimir était assez petit, le visage tout rond, les joues toujours un peu rouge, il portait un pantalon de velours et une chemise trop grande pour lui. Victor savait que Vladimir était un homme qui aimait bien la bouteille, alors il sortit de sa poche celle qu'il avait apportée et la posa sur la table :
« Mais tu as amené à boire ! Rose, amènes deux verres ! » Dit Vladimir, les yeux brillants de plaisir.
Rose posa les deux verres sur la table, Victor les remplis et dit :
« Je suppose que tu es au courrant des projets de nos enfants ! Ils se fréquentent depuis quelques temps, et veulent se marier ! »
« Oui, je le sais, tu sais, mon Nicolas est un très gentil garçon, il est très travailleur et ta fille sera heureuse avec lui, tu me connais depuis longtemps, tu sais que nous sommes une famille honnête ! »
Victor écoutait le flot de paroles ininterrompues de Vladimir.
Quand ce dernier s'arrêta enfin de parler pour boire une gorgé, Victor en profita pour lui dire :
« Je voudrais que le mariage se passe chez moi, nous avons une grande maison, avec beaucoup de place ! »
« Oui, je suis d'accord, tout se fera chez toi ! » répondit Vladimir
« Alors, c'est entendu, je vais y aller maintenant, j'ai beaucoup de choses à faire, à bientôt ! » Dit Victor en se levant.
Victor repartit.
En marchant, il se demandait quelle était cette drôle de sensation qu'il avait ressentie, cet espèce de malaise, cette famille ne lui avait pas laissé une bonne impression, bizarre ! Ils étaient gentils pourtant !
A peine arrivée chez lui, sa femme le pressa de questions, elle était curieuse de savoir comment s'était passée la visite chez les Havrilov. Victor resta évasif, il ne voulait pas inquiéter sa femme, mais il décida de garder sa fille encore un peu à la maison près de lui, il trouverait un prétexte pour la jeune fille.
Le lendemain, Nicolas vint rendre visite à sa jeune fiancée et Victor en profita pour discuter un peu avec son futur gendre :
« Je voudrais te demander si, après le mariage, tu veux venir habiter ici, avec Marie et moi ? Nous avons beaucoup de place, et cela vous faciliterais les choses pour démarrer votre vie ! »
Sans aucune hésitation, avec même un soupçon d'empressement, le jeune homme répondit vivement :
« Oui, c'est d'accord ! ».
Le jeune homme savait qu'il vivrait bien mieux chez les parents de sa femme que chez les siens !


















Le mariage fut célébré comme prévu, tout avait été parfait, et la fête avait duré trois jours entiers. Catherine était splendide dans sa robe de dentelles blanches c'était vraiment un très beau mariage !
Après les noces, les jeunes mariés s'étaient installés chez Victor et Marie. Nicolas aidait son beau-père aux travaux de la ferme et Catherine aidait sa mère aux tâches ménagères.
Nicolas avait une sœur qui était partie vivre en Australie, elle avait appris le récent mariage de son frère et avait envoyé une lettre en demandant aux jeunes mariés s'ils voulaient venir habiter chez elle, elle disait qu'en Australie, il y avait beaucoup de travail.
Six mois plus tard, Nicolas et Catherine émigrèrent à leur tour en Australie, à Melbourne.
La séparation avait été douloureuse, Victor avait très mal pris le départ de sa fille, il n'avait qu'elle, c'était son unique enfant ! Marie pleura beaucoup, mais Catherine et son mari prirent l'avion pour l'Australie.
La maison de Marie était bien vide à présent, et Victor et elle ne se parlaient plus beaucoup, chacun était rongé de chagrin de son côté et aucun des deux n'osait aborder le douloureux sujet du départ de leur fille, de peur d'augmenter le chagrin de l'autre. L'ambiance était lourde et triste dans la maison.











CHAPITRE 12









Cinq années s'étaient écoulées depuis le départ de Catherine vers l'Australie.
La vie avait reprit son cours monotone chez Victor et Marie, un peu plus lentement, avec le poids des années.
Un matin, une lettre arriva, une lettre d'Australie, c'était Catherine.
Elle demandait à ses parents s'ils voulaient venir habiter chez elle, en Australie :
« Vous êtes âgés maintenant, vous ne pouvez plus travailler la terre, vendez tout et venez nous rejoindre, ma maison est très grande, j'ai assez de place pour vous deux ! » Disait la lettre.
Victor n'avait pas d'autre famille que sa femme et sa fille, cette idée le séduisit tout de suite, ce n'était pas du tout le cas de Marie qui avait ses deux fils installés dans les environs, bien sûr ils étaient mariés depuis longtemps, mais elle les voyait quand même de temps en temps.
Victor, à force d'insistances, avait fini par persuader Marie de partir chez leur fille.
Ils décidèrent de tout vendre, les bêtes, les terres et la maison. Cela leur rapporta beaucoup d'argent, alors, ils partirent pour l'Australie.
A Melbourne, les retrouvailles furent émouvantes, joyeuses et un peu bruyantes. Catherine avait eut deux filles, et Marie était ravie de connaître enfin ses petits-enfants qu'elle n'avait jamais vus.
Catherine avait acheté une maison à crédit, c'était une immense demeure avec beaucoup de pièces séparées, il y avait une cuisine, un salon, une salle de bain, et deux chambres.
Victor et Marie proposèrent à leur fille de les aider financièrement, en payant aussi un peu pour la maison.
Catherine était ravie de retrouver ses parents, et de les faire connaître à ses filles. Tout se passait bien, dans la joie de vivre et le bonheur.
Victor, qui ne se sentait pas du tout vieux, chercha du travail. Il en trouva un, dans un restaurant où il était chargé de différentes tâches dans la cuisine, et pendant ce temps, Marie gardait ses petites-filles, puisque Catherine et Nicolas travaillaient. Tout le monde était ravi de retrouver cette vie si familiale, si chaleureuse, comme en chez eux, en Yougoslavie.
Victor travailla au restaurant quelques années encore, mais il vieillissait et finalement, il fut contraint de partir à la retraite. Ainsi va la vie !
Il voulut offrir la moitié de sa retraite à sa fille, mais celle-ci refusa fermement :
« Tu m'as bien assez donné dans ma vie, mais il serait bien de mettre cet argent à la banque, il te rapporterais quelques intérêts, et si vous en aviez besoin, vous pourriez l'utiliser ! » Disait Catherine.
Chaque mois, Marie et Victor mettaient la moitié de leur argent à la banque, et ils gardaient l’autre moitié chez eux, par habitude.
Peu à peu, l'argent s'amassait, et comme Marie et Victor n'avaient pas de coffre-fort, ils cherchèrent des lieux sûrs où cacher tout cet argent.
Beaucoup de solutions furent envisagées, mais aucune ne donnait entière satisfaction. Un jour, Victor eut une idée, il dit à Marie :
« Ça y est, j'ai trouvé ! » Et sans rien ajouter, il désigna du menton la grosse table de la cuisine.
« Tu veux mettre l'argent dans la table ? Mais il n'y a pas de cachette là-dedans ! » Dit Marie stupéfaite,
« Mais si ! Regarde ! » Répondit malicieusement Victor.
Il retourna la table qui avait quatre gros pieds en bois :
« Ma cachette, c'est là ! Je vais percer des trous dans les pieds, nous mettrons notre argent dedans et ensuite je les reboucherais à chaque fois, pour que ça ne se voie pas ! ».
L'idée était astucieuse, il fallait y penser !
Ainsi, chaque mois, la table coffre-fort se remplissait. Cela dura plusieurs années.
Chapitre 13









Dix ans se sont écoulés depuis l'arrivée de Marie et Victor à Melbourne.
Victor tomba gravement malade et mourut dans sa soixante-dixième année. Marie avait maintenant soixante huit ans, et elle se retrouvait veuve pour la deuxième fois de sa vie.
Marie resta en Australie avec sa fille, son gendre et ses deux petites-filles.
Deux ans passèrent après le décès de Victor, et Marie voulut retourner en Yougoslavie, pour y revoir ses fils. Elle décida de partir avec sa fille.
Quelques jours avant le départ, elles achetèrent leurs billets d'avion, des cadeaux et commencèrent à faire leurs bagages.
La veille du départ tant attendu, tout le monde s'affairait aux préparatifs, il y avait tellement à faire, il ne fallait surtout rien oublier :
« Vas te coucher maman, demain nous aurons une dure journée, je vais finir de faire les valises ! » Dit Catherine.
Marie épuisée, embrassa tout le monde et partit dans son petit appartement situé au bout de la maison.
Elle commençait à être un peu sourde avec l'âge, alors Marie portait un appareil auditif qu'elle enlevait le soir.
Elle posa son appareil sur sa table de chevet, et se mit au lit. Elle était tellement contente de revoir ses fils et ses petits-enfants, de rentrer enfin chez elle, dans son pays où elle avait passé la plus grande partie de sa vie ! C’est en pensant à tout cela, que Marie s'endormit un sourire sur les lèvres.
Catherine s'assura que tout était prêt pour le départ du lendemain matin, puis se dirigea vers sa chambre.
Elle ouvrit la fenêtre pour fermer les volets, mais soudain, un voile noir passa devant ses yeux, ses jambes fléchirent et, elle s’écroula par terre, devant la fenêtre.
Quelques minutes plus tard, Nicolas entra dans la chambre et trouva sa femme sur le sol, inconsciente. Affolé, il se précipita vers sa femme, lui souleva la tête et l'appela :
« Catherine, chérie, tu m'entends ? C’est moi, Nicolas ! Catherine ? ».
Il répéta ses questions plusieurs fois, mais sa femme ne réagissait pas, complètement affolé, Nicolas appela ses filles qui se mirent à hurler en voyant leur mère inconsciente :
« Taisez vous et restez près de votre mère, ne la quittez pas, je vais appeler une ambulance ! » Dit Nicolas.
L'ambulance arriva peu de temps après l'appel de Nicolas, et Catherine fut dirigée vers l'hôpital le plus proche.
Mais hélas, elle mourut avant d'y être arrivé.

Marie se réveilla d'elle même, un peu surprise que personne ne soit venu la secouer pour le départ, elle crut qu'elle était en avance et décida de commencer à se préparer.
Maintenant Marie était fin prête, mais personne ne venait la chercher, inquiète, elle alla dans la maison de sa fille pour voir ce qui se passait.
Quand elle ouvrit la porte, elle vit son gendre et ses petites-filles en larmes :
« Que se passe t-il ?« demanda Marie, Nicolas, dans un sanglot, lui indiqua la chambre, où reposait le corps de Catherine.
Marie comprit tout de suite qu’il s’agissait de sa fille, elle pâlit, sembla tituber un peu, elle s'assis sur une chaise, et répéta d'une voix tremblante :
« Que s’est-il passé ? Où est Catherine ? ».
Nicolas, entre deux sanglots, lui raconta que Catherine avait eu un malaise provoqué par une tumeur au cerveau, qu'elle était tombée inconsciente parterre et qu'elle n'avait pas tenu jusqu'à l'hôpital, elle était morte dans l'ambulance, alors, après un examen du médecin, Nicolas avait eut l'autorisation de la ramener chez lui pour l‘enterrement.
Marie resta figée sur sa chaise, elle ne disait rien, mais dans sa tête les pensées se bousculaient :
« Catherine, ma petite fille est partie, elle aussi, elle est allée rejoindre son père ! Comment est-ce que je vais pouvoir supporter ça ? » Se disait-elle.
L'enterrement fut bref, il n'y avait pas beaucoup de monde. Marie marchait en tête, soutenue par son gendre, les filles suivaient tristement.
Une semaine après l'enterrement de Catherine, Nicolas vint trouver Marie et lui dit un peu sèchement :
« Maman Marie, il faudrait que l'on se parle tous les deux ! »
« Mais oui, bien sûr Nicolas, qu'est-ce qu'il y a ? » demanda Marie
« Je sais que tu as beaucoup d'argent à la banque ! » Dit-il
« Et si tu veux rester chez moi, il faudra tout me donner ! ».
Marie hésitait, surprise de la demande de Nicolas, mais comme elle ne voulait pas de dispute, elle dit à son gendre :
« Très bien, prends ta voiture et emmènes moi à ma banque ! ».
Marie vida son compte bancaire et fit tout poser sur le compte de Nicolas, sous les yeux étonnés du banquier.
De retour à la maison, Nicolas dit à Marie :
« Je sais que tu caches encore de l'argent quelque part dans ton appartement, et je t'ai dit que je voulais tout ! »
Mais ce coup si, Marie se mit en colère :
« Non Nicolas, je ne te donnerais rien de plus, j'ai encore deux fils en Yougoslavie, et j'aimerais bien leur laisser quelque chose, quand à toi, je t'en ai assez donné ! »
Furieux, Nicolas lui dit :
« Je vais les trouver tes sous, et je prendrais tout ! ».
Et il se mit à fouiller frénétiquement toute la maison, il s'attarda particulièrement dans la chambre de Marie. Il chercha partout, en vain. Marie était la seule à connaître la cachette, elle remercia en pensées son mari Victor d'avoir eut tant d'imagination.
Quand il comprit qu'il ne trouverait pas la cachette, Nicolas rentra dans une rage folle, et rouge de colère, le regard mauvais, il dit à Marie :
« Tu vas faire tes valises et retourner chez tes fils ! », puis il partit en claquant la porte.
Marie était terrorisée, elle avait peur que Nicolas lui fasse du mal alors elle téléphona à ses fils en Yougoslavie, et leur raconta ce qui se passait avec son gendre :
« Depuis que Catherine est morte, il est devenu complètement obsédé par mon argent, il me met dehors, je ne peux plus rester ici, est-ce que tu peux venir m'aider à préparer mon retour chez nous ? ».
Yvan pris le premier vol vers l'Australie pour venir en aide à sa mère. Il n'avait pas prévenu de son arrivée, et c'est un taxi qui le déposa chez Marie. Quand il arriva, il vit tout de suite que sa mère venait de pleurer :
« Maman ! Ma petite maman ! Qu’est-ce qui t'arrives ? » Demanda-t-il
« C'est encore Nicolas, il est de plus en plus méchant, il a bien changé depuis la mort de ta sœur, il ne veut plus de moi ici, au début, il m'a obligée à lui donner tout ce que j'avais sur mon compte à la banque, mais j'ai toujours gardé une partie de mon argent ici, il le sait et le voudrait, mais je ne lui donnerais jamais, il en a eu bien assez ! ».
Marie reprit son souffle, elle était passée du chagrin à la colère, elle continua :
« C'est lui qui a mis tout ce désordre, il revient souvent pour essayer de trouver mes économies, mais il peut les chercher longtemps, il n'est pas prêt de les trouver ! ».
Dans la chambre régnait un indescriptible désordre, les tiroirs étaient ouverts, certains même étaient par terre, tous les objets, bibelots gisaient pêle-mêle sur le parquet ciré, le lit avait été défait, et le matelas renversé, même les vêtements de Marie étaient en tas sur le sol :
« Mais où as-tu donc caché cet argent ?« demanda Yvan à sa mère
« Dis le moi que je puisse t'aider s’il revient ! »
« Viens, suis-moi !« Dit Marie en se dirigeant vers la cuisine.
« Retournes la table ! » demanda Marie à son fils,
« Tu veux que je retourne cette table ? Pourquoi faire ? » Demanda Yvan surpris
« Fais ce que je te dis ! » Insista Marie. Yvan s'avança vers la table et la retourna, sans bien comprendre pour quelle raison il faisait cela.
« Maintenant regardes bien sur les pieds de la table ! » Dit Marie.
Yvan se pencha et vit de légères incisions dans le bois, soigneusement rebouchées, qui formaient un petit rectangle, comme la fente d'une tirelire qui aurait un couvercle. Yvan retira le petit bout de bois, entra ses doigts dans la fente ainsi dégagée et saisit plusieurs rouleaux, qu'il sortit, c'étaient des liasses de billets, soigneusement roulés et maintenus par un petit élastique. Il se tourna vers sa mère et éclata de rire :
« Tu es vraiment très forte maman, Nicolas n'aurait jamais trouvé ton argent ici ! »
« C’est Victor qui avait eut cette idée ! » répondit Marie.
Quand Nicolas rentra du travail le soir, sa colère contre Marie n'était toujours pas passée, aussi, il alla directement chez Marie et lui dit :
« Je veux que toi et ton fils vous quittiez ma maison, maintenant, vous n'avez qu'à retourner en Yougoslavie ! »
« Mais Nicolas, tu sais bien qu'il va falloir beaucoup de temps pour faire tous les papiers avant de partir d'Australie ! » dit Marie
« Je veux que vous partiez tout de suite, vous ramassez vos affaires et vous partez, maintenant ! » répondit froidement Nicolas
« Mais il fait déjà nuit ! Laisse-moi au moins appeler Filomène pour qu'elle vienne nous chercher en voiture ! » Insista Marie.
Filomène était la fille du cousin de Marie, elle vivait en Australie depuis longtemps déjà, elle et Marie étaient restées assez proches, Marie avait plusieurs membres plus ou moins éloignés de sa famille en Australie, ils habitaient tous à Melbourne.
« Ne t'inquiètes pas mon fils, Filomène va venir nous chercher ! » Dit Marie en se tournant pour attraper le téléphone.
« Ne touches pas à mon téléphone ! Tu n'appelleras personne, je veux que vous partiez tout de suite ! » Cria brusquement Nicolas.
Yvan tenta de s'avancer vers Nicolas, mais sa mère s'interposa et lui dit :
« Allez viens, nous partons tout de suite, je ne veux pas que tu te bagarres avec lui, il n'en vaux pas la peine ! ».
Marie et Yvan prirent leurs affaires et sortirent de la maison la plus vite possible :
« Nous allons aller quand même chez Filomène, elle nous accueilleras avec plaisir ! » dit Marie.
Ils prirent la route à pieds, il était presque minuit et la nuit ralentissait leurs pas. Enfin ils arrivèrent chez Filomène.
Marie frappa à la porte, et à l'une des fenêtres du premier étage, une lumière s'alluma.
« On a frappé à la porte ! Va voir qui c'est, mais fait attention ! » Dit Filomène à son mari.
En grognant, Romano sortit de sont lit, mit ses chaussons, alluma la lumière du couloir et se dirigea vers la porte d'entrée :
« Qui est là ? » demanda-t-il
« C'est moi Marie, votre tante, je suis avec mon fils Yvan ! » Répondit une voix derrière la porte. Rassuré, Romano ouvrit la porte. Intrigué par la visite tardive de la tante Marie, il demanda aussitôt :
« Tante Marie ! Mais qu'est-ce que vous faites là à une heure pareille ? Mais rentrez, ne restez pas dehors, Filomène va nous faire du café! »
Filomène venait de rejoindre son mari, elle s'exclama :
« Tata ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Venez vous asseoir, je vous sers un bon café bien chaud ! ».
« Filomène, ma petite Filomène, si tu savais, une chose épouvantable viens de nous arriver, mon gendre Nicolas nous a chassés de chez lui, et comme je ne savais plus où aller, j’ai pensé à toi, pouvez-vous Romano et toi nous héberger quelques jours, le temps de préparer tous les papiers avant notre départ, je rentre chez moi, en Yougoslavie ? » Demanda Marie
« Mais bien sûr que vous pouvez rester ici, n'est- ce pas Romano ? » demanda Filomène en se tournant vers son époux,
« Évidement qu'ils vont rester ici ! » répondit Romano
« Je vais vous préparer de quoi vous reposer cette nuit, puis nous reparlerons de tout ça demain » conclut Filomène.
Le lendemain matin, pendant le petit déjeuner, Marie expliqua à Filomène que son gendre lui avait réclamé tout le contenu de son compte, qu'il l'avait obligé à aller à la banque pour faire transférer tout son argent sur son compte à lui, et que maintenant, il voulait le reste, ce qu'elle avait mit de coté et garder chez elle, mais comme elle se refusait à lui donner le moindre sou, il avait tout simplement décidé de la jeter dehors.
"Ne t'inquiètes pas tata, demain, on va aller à la banque et on va essayer de récupérer ton argent !" Dit Filomène. Elle avait proposé son aide sans hésiter, une telle injustice ne devait pas rester impunie !
Le lendemain, Marie et Filomène arrivèrent à la Banque un peu avant l'ouverture :
« Tant mieux, nous serons les premières ! » dit Marie en voyant la banque fermée.
Elle expliqua au banquier le motif de sa visite et le but de sa démarche :
« Oui, je me souviens très bien du jour où vous êtes venue avec votre gendre, je ne me suis pas interposé car je croyait que c'était un accord entre vous deux, mais j'avais trouvé cela un peu bizarre quand même qu'après tout ce temps dans notre banque, vous vidiez subitement votre compte pour approvisionner celui de votre gendre, j'étais loin de me douter qu'il vous forçait à faire ça, je vais arranger les choses, vous pouvez me faire confiance ! » Avait répondu le banquier.
Marie et Filomène étaient reparties rassurées.
Deux jours plus tard, Marie reçut une lettre du banquier lui disant que tout était arrangé, et qu’elle avait récupéré tout l’argent que son gendre lui avait volé, il était à nouveau sur son compte à elle. Marie était soulagée :
« Merci Filomène, ton idée d'aller à la banque était la bonne, j'ai récupéré tout mon argent, comment pourrais-je te remercier ? » demanda Marie
« Ta joie est plus importante que tout, tata et je suis heureuse d'avoir pu t'aider ! » Répondit Filomène.
Marie et Yvan restèrent un mois entier chez Filomène et Romano, ils firent toutes les démarches nécessaires pour que Marie reparte en Yougoslavie et puisse toucher sa retraite là-bas.
Les adieux avaient été difficiles, jamais Marie n'oublierait ce que Filomène et Romano avaient fait pour elle, ils s'étaient promis de se revoir bientôt.
Le retour en Yougoslavie avait été une vrai fête, Marie était heureuse d'être enfin rentrée chez elle, elle avait retrouvé ses fils, ses petits enfants déjà grands, son village et tous ses vieux amis.
Marie partageait sa vie entre ses deux fils, quelques temps chez Yvan et quelques temps chez Stéphane, à Vukovar. Tout le monde était ravi, et la vie s'écoula tranquillement pendant deux ans, mais le malheur ne lâche jamais prise !
Le destin de Marie était de souffrir encore, le chemin de la douleur ne s'était pas arrêté.
L'année 1990 commençait mal, des conflits éclataient entres les pays voisins, tout avait commencé par la Slovénie.
Lorsque la Slovénie demanda son indépendance à la Yougoslavie, Marie pressentit un malheur, le temps lui donna raison.
Peu de temps après, la Croatie, deuxième république de la Yougoslavie, demanda à son tour son indépendance, tous les hommes furent donc mobilisés, les Croates créèrent leur propre armée et certains d’entre eux commencèrent à persécuter les serbes qui vivaient en croatie.
Marie espérait vivement que les choses s’arrangent avant d’arriver à une véritable guerre, car son fils Stéphane habitait à Vukovar.
Un après-midi, Marie était chez sa nièce de l’autre coté du fleuve Danube, à sept kilomètres de Vukovar, dans un petit village en Serbie.
En effet, le Danube sépare la Croatie de la Serbie, et Vukovar est la première ville de Croatie. C’est une ville implantée au bord du fleuve, la ville où habitaient son fils Stéphane, sa femme et ses enfants.
Ce jour là, alors que Marie se trouvait chez sa nièce Ana, dans le village de Bodani, une impressionnante colonne de chars de l’armée Serbe traversa le village, il y en avait plus d’une centaine. Ils se postèrent à la sortie du village et commencèrent à bombarder Vukovar.
C’était un vrai désastre, les gens criaient, couraient dans tous les sens, certains pleuraient, d’autres regardaient brûler la ville à sept kilomètres de là, sans bouger, comme pétrifiés par l’horreur de ce qu’ils voyaient. Ana avait ses deux filles qui habitaient à Vukovar, et Marie y avait son fils et ses petits enfants. Elles regardaient avec horreur les tirs puissants et incessants des chars détruisant la ville de leurs enfants. Des tonnes de gravas et beaucoup de poussière retombaient après chaque tir, autour d’elles, d’autres familles s’étaient rassemblées, des cris fusaient, tous regardaient cette scène d’horreur sans rien pouvoir faire, ils étaient tous là, impuissants, hébétés, apeurés et silencieux. Ils ne fallait surtout rien dire, ils étaient en Serbie, et c’est l’armée Serbe qui bombardait Vukovar. Serrées l’une contre l’autre, Marie et sa nièce pleuraient doucement :
«On ne reverras plus jamais nos enfants, ils doivent être morts avec tous ses bombardements ! » Dit Marie « Oh ! Mes pauvres enfants !! » Gémit-elle.
En pleurant, se soutenant l’une l’autre, elles rentrèrent à la maison.
La nuit fut interminable, les bombardements ne cessèrent qu’au petit matin.
A peine l’aube levée, Marie s’habilla et prit le bus pour aller au village de Backa Palanka, situé à une trentaine de kilomètre du village de Bodani où elle se trouvait.
C’est à Backa Palanka que passait le Danube, il y avait un pont qui enjambait le fleuve et permettait de passer de l’autre côté.
« Il faut que j’aille à Vukovar demain matin, je veux retrouver mes enfants. Ils sont peut-être blessés et ont besoin de secours on ne sait jamais ! » Avait dit Marie à sa nièce.
Ana voulait accompagner Marie à Vukovar, mais cette dernière avait refusé catégoriquement en lui disant :
« Non, tu restes ici, c’est bien trop dangereux là-bas, s’il m’arrive quelque chose, je m’en fiche, je suis déjà vieille, mais toi, tu as encore la vie devant toi, mais ne t’inquiètes pas, si je trouve un de nos enfants de blessé ou pire encore, je t’avertirais tout de suite, de toute façon, je reviens chez toi en fin de journée ! ».
La discussion était close, Ana n’insista pas d’avantage.
Arrivée à Backa Palanka, Marie se dirigea directement vers le pont, mais un jeune militaire lui en interdit l’accès.
Marie ne se découragea pas, et attendit patiemment qu’une opportunité s’offre à elle. C’est vers midi, alors que le garde s’éloigna un instant de son poste, que Marie en profita pour franchir le pont.
Elle avait parcouru une cinquantaine de mètres quand le garde s’aperçu qu’il y avait quelqu’un sur le pont, il cria derrière elle :
« Reviens mémé, c’est interdit de traverser le pont ! Reviens je te dis, sinon je vais tirer ! », Marie fit la sourde oreille et pressa le pas.
« Tires si tu oses tuer une vielle femme sans défense, moi, je dois traverser ce pont ! », dit-elle. Elle se retourna et poursuivit son chemin.
Deux, puis trois coups de feu résonnèrent, Marie sursauta, mais ne s’arrêta pas.
Enfin, elle atteignit l’autre côté du pont :
« J’ai réussi à traverser, il faut continuer ! » se disait-elle « Je dois retrouver mes enfants ! ».
Marie marcha pendant des heures, ses jambes lui faisaient mal, mais elle était obsédée par ses enfants, elle devait avancer, à tout prix.
Marie marcha pendant trois jours et trois nuits, se cachant pour se reposer et manger pendant la journée, et avançant en se cachant la nuit, il fallait qu’elle soit très prudente, on ne savait jamais très bien de quel pays était la patrouille qui arrivait, Serbe ou Croate, et il valait mieux ne pas se faire prendre.
Enfin, elle arriva aux abords de Vukovar. De loin, elle entendait les bruits des bombardements et le sifflement des balles, elle pouvait aussi sentir cette affreuse odeur de poudre et de sang mélangé, et partout autour d’elle, il y avait un épais nuage de poussière. Marie tremblait de tous ses membres, tant de peur que de froid et de fatigue. Prudemment, en restant cachée le plus possible, Marie arriva aux portes de la ville, la nuit était tombée.
Tout était sombre, il n’y avait plus d’électricité, et la ville était plongée dans le noir. Seuls les incendies des maisons en ruines éclairaient la nuit.
Marie aperçu l’église, et décida de s’y cacher pour la nuit. Elle s’apprêtait à franchir la première marche, quand soudain, une main la tira par la manche et une voix masculine, plutôt jeune lui dit :
« Où tu vas mémé ? C’est très dangereux de se promener dans la ville la nuit, viens avec moi, tu dois te cacher, il ne faut pas rester là, c’est trop dangereux, allez, viens ! ».
Marie avait sursauté au contact de l’inconnu, mais dès qu’elle avait entendu sa voix, elle avait su d’instinct, qu’elle ne devait pas avoir peur de lui.
L’inconnu la tira par la manche et la conduisit tout près, dans une ruelle, et s’arrêta devant une grande porte en bois donnant sous une maison, une cave.
Il frappa et tout de suite, la porte s’ouvrit.
L’inconnu entra et Marie le suivit. Elle se retrouvait effectivement dans une cave, assez sombre, éclairée par une bougie, posée sur une table au milieu de la cave.
La seule lumière de la bougie permettait à Marie de découvrir avec stupéfaction la taille impressionnante de la cave, elle avait l’impression d’être entrée dans une immense grotte.
Cette grotte avait été construite cinq siècles auparavant, lors de la damnation des turcs. A cette époque, le vin était une des plus grandes richesses de ce village, toutes les productions locales étaient regroupées ici, d’où la taille de la cave, et la porte si épaisse. Tous les habitants de Vukovar connaissaient cette cave.
Il y avait du monde partout, des enfants pleuraient dans un coin, serrés les uns contre les autres, un groupe de femmes priaient, un autre discutait à voix basse, il y avait même des blessés. Jamais Marie n’avait vu pareille scène, elle s’avança pour rejoindre un groupe de personnes assises dans un coin.
La porte de la cave s’ouvrit à nouveau, et plusieurs hommes assez jeunes, presque des adolescents, entrèrent, portant chacun un sac à dos apparemment très lourd.
Les jeunes gens posèrent leur sac à terre, et en sortirent plusieurs boites de conserves de fruits et de légumes, un morceau de lard, des biscuits, de la farine, et surtout, de l’eau. L’eau était très importante, elle servait à beaucoup de choses, en plus d’être essentielle à la survie de tous, on l’utilisait pour nettoyer les plaies des blessés, on y mettait quelques légumes et un peu de saindoux pour faire un bouillon, pour les plus faibles, il y avait beaucoup de personnes âgées dans la cave, et certain n’avaient plus assez de dents ou de forces pour avaler autre chose que du bouillon, si maigre fut-il ! L’eau servait aussi pour la toilette, car il fallait éviter les infections et les épidémies, alors, il fallait s’obliger à un minimum d’hygiène.
Marie regardait avec admiration ses jeunes hommes courageux qui sortaient chaque nuit pour aller trouver de la nourriture et de l’eau pour tous, un autre homme arriva déposant deux gros bidons d’eau au centre de la cave, Marie cligna de yeux, il lui semblait reconnaître cet homme, elle se leva et s’approcha une bougie à la main pour éclairer le visage de l’homme.
« Joseph ! » Dit Marie
Le jeune homme se retourna, regarda la femme devant lui avec étonnement :
« Tata, mais qu’est ce que tu fais là ? »
« Joseph, c’est bien toi ? Oh merci mon Dieu ! Merci d’avoir retrouver Joseph ! »
Joseph est l’un des neveux de Marie
Joseph embrassa sa tante et lui redemanda :
« Tata, mais que fais tu dans cette cave ? Comment es-tu arrivée ici ? »
« C’est une longue histoire, je te la raconterais plus tard, dis moi, as tu des nouvelles de Stéphane ou de ses enfants ? »
« Non tata, je n’ai vu personne, tu sais, on est dans cette cave depuis deux semaines déjà, et on ne sort que la nuit, comme ce soir, pour aller chercher de la nourriture et de l’eau, on fait ça la nuit, c’est plus prudent, on espère toujours une aide de Zagreb, on ne va pas pouvoir tenir très longtemps comme ça ! »
« Écoutes-moi Joseph, demain matin, je sortirais de cette cave, il faut que je retrouve Stéphane et ses enfants, j’irais jusqu’à leur maison, ils ont peut-être besoin de secours ils sont peut-être morts, j’ai besoin de savoir la vérité ! » dit fermement Marie
« Mais non tata, tu ne peux pas y aller, c’est trop dangereux ! » dit Joseph
« Peu importe, j’irais quand même ! » répliqua fermement Marie, elle avait croisé les bras et relevé le menton en signe de défi, Joseph compris que la discussion était close, il soupira en haussant les épaules, impuissant et s’éloigna de sa tante.
L’aube commençait à peine à se lever, que Marie sortait de la cave sur la pointe des pieds, pour ne réveiller personne, et se dirigeait vers la maison de son fils.
Après tous les bombardements, il ne restait plus grand chose en bon état, la plupart des maisons étaient en ruines, les magasins avaient été pillés puis incendiés, les rares voitures étaient toutes détruites, mais le pire de tout, c’était l’incroyable nombre de morts, il y en avait partout, il était difficile de marcher dans les rues, il fallait les enjamber, il y avait surtout des hommes, sûrement des résistants. Autour des corps, les femmes en pleurs erraient comme des fantômes.
Il flottait dans l’air une odeur acre et suffocante, un mélange de feu de bois, de poudre à canon, de chairs brûlées et de sang. L’odeur de la mort !
Marie se sentait mal, son cœur battait trop fort dans sa vielle poitrine, elle avait du mal a respirer, mais elle ne se décourageais pas, elle continuait son chemin, mais plus elle se rapprochait de la maison de son fils, plus elle respirait difficilement. La peur lui tordait l’estomac, elle ne savait pas du tout à quoi s’attendre, c’était ça, le pire !
Enfin, elle arriva devant la maison de Stéphane, elle poussa la porte.
A l’intérieur, tout était cassé, il n’y avait plus rien debout, mais la maison semblait vide ! Marie se dirigea alors vers la cour à l’arrière de la maison, espérant y trouver quelqu’un, mais là encore, il n’y avait personne. Un léger bruit venant de sa droite lui fit tourner la tête, sous un tas de vieux cartons…
Le chien ! Marie repris espoir quelques secondes, puis réalisa que le pauvre animal était seul, et terrorisé, il se cachait là depuis que son maître était parti, il attendait patiemment son retour.
Marie se pencha et appela doucement le chien. Celui-ci sorti doucement de sa cachette et s‘approcha de Marie. Il avait déjà vu Marie, elle n’était pas vraiment une étrangère pour lui, mais il avait très peur, et visiblement très faim !
« Pauvre bête ! Depuis combien de temps es-tu là ? »Demanda Marie en caressant l’animal.
« Tu ne peux pas rester ici tout seul, tu vas venir avec moi ! » dit Marie, elle se mit à chercher quelque chose, après quelques secondes se recherches, elle revint vers l’animal et lui dit :
« J’ai trouvé ce que je cherchais ! » elle montra une corde, et la passa autour du cou de l’animal. Rex semblait content d’avoir trouvé quelqu’un, et suivait Marie sans difficulté.
Ils quittèrent la maison vide et se dirigèrent vers une autre maison située juste un peu plus haut dans la rue.
Il avait semblé à Marie que quelque chose ou quelqu’un avait bougé.
Marie s’approcha prudemment de la maison. La porte était entre-ouverte, Marie l’ouvrit complètement et regarda à l’intérieur, sans franchir le seuil. Il n’y avait personne, pourtant Marie aurait juré avoir vu quelque chose bouger, alors, elle appela :
« Y’a quelqu’un ? Oh ho! Y’a quelqu’un ? Répondez ! »
Une femme sortit d’un coin de la maison :
« Oui, on est là ! » dit-elle d’une voix tremblante, « entrez ! ».
Marie fit un pas et entra dans la maison. Il ne restait plus grand chose debout, la maison était en partie brûlée, il n’y avait plus de toit, et un des murs était complètement détruit, mais en y regardant de plus près, au fond de la maison, derrière un tas de chaises cassées, il y avait une porte dans le sol, une cave !
« Venez par ici ! » dit encore la femme, elle aida Marie à descendre l’escalier raide qui menait à la cave.
C’était une pièce complètement enterrée sous la maison, il n’y avait aucune fenêtre, aucune aération, seule l’ouverture de la porte menant dans la maison permettait l’accès et la ventilation de la cave. Une forte odeur de crasse et de sueur envahie le nez de Marie, elle fit la grimace.
Guidée par la femme inconnue, Marie descendit l’escalier et se retrouva… dans le noir absolu.
La cave était plongée dans l’obscurité, il n’y avait plus de lumière, et les bougies étaient réservées pour le soir, cependant, la femme alluma une lampe à huile, et la posa sur la table.
« Tata ! C’est tata ! » Dit un garçon, c’était Vladimir, le frère de Joseph, son deuxième neveu.
Il y avait plusieurs autres personnes dans cette cave, en plus de la femme qui l’avait amener là et de son neveu, il y avait trois autres femmes, et deux hommes.
Elle prit Vladimir dans ses bras et l’embrassa très fort, puis elle le repoussa doucement, le fixa intensément et demanda :
« Est-ce que tu as des nouvelles de mon fils ? Je suis très m’inquiète, je viens de chez lui, mais il n’y avait que le chien ! »
« Mais qu’est-ce que tu fais là ? C’est très dangereux ici ! » Demanda Vladimir
« Je le sais bien, mais je ne pouvais pas rester chez moi à attendre, il fallait que je viennes ici pour savoir, alors dis-moi, sais-tu où sont Milan et Pierre, mes petits enfants ? »
« Non tata, je suis désolé, je ne sais pas où ils sont, tout ce que je sais, c’est qu’ils ont été emmenés par l’armée croate et je me fais du souci pour eux, mais je ne sais pas du tout où ils les ont emmenés. Je ne sais même pas s’ils sont encore en vie ou non ! ».
Marie se sentit soudain très fatiguée, elle s’assit et regarda tristement son neveu :
« Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? » demanda-t-elle
« Je ne sais pas encore, mais nous allons trouver ! » répondit le jeune homme pour rassurer un peu sa tante.
Ils restèrent trois jours cachés dans la cave, au petit matin du quatrième jour, la porte de la cave s’ouvrit brutalement, et une voix ordonna :
« Sortez tous de là-dedans les mains en l’air ! »
Ils se retrouvèrent tous les sept dehors, face à trois hommes armés de fusils. Tout de suite, Marie reconnu le fils de ses voisins, c’était celui qui parlait le plus : « C’est vous la sale bande d’ustasi, tous à genoux ! » ordonna-t-il tout le monde se mit à genoux, alors, le deuxième homme s’approcha et dit à son tour :
« Les hommes, vous enlevez votre chemise ! ».
Vladimir et les deux autres hommes s’exécutèrent, ils se retrouvèrent donc à genoux, à demi nu dans le froid, tout le monde était terrorisé, mais personne ne disait un mot, pas un soupir ne s’échappait de leur bouche, c’était le silence total, le silence de ceux qui savent déjà qu’ils vont passer un sale moment !
L’homme que Marie avait reconnu s’avança vers les trois hommes à genoux, et lentement, très lentement, en les regardant bien chacun leur tour, il fit glisser sa ceinture des passants de son pantalon, la saisie à pleines mains, boucle sortie et sans dire quoi que ce soit, se mit à frapper violemment les hommes à terre.
Vladimir fut le premier touché, il se mit à crier sous les coups de la grosse boucle de métal qui lui déchirait les chairs, il tomba et instinctivement, se roula en boule pour se protéger le plus possible des coups de l’inconnu.
L’homme continuait de frapper les trois « prisonniers » en criant comme un fou :
« Dis moi pour qui tu as voté sale ustasi ! Avoues que tu a voté pour Tudjman ! »
Maintenant, Marie pleurait, elle implorait leurs tortionnaires d’arrêter de frapper, mais les voyous n’avaient aucune pitié, et il frappèrent tant et tant, que les trois hommes étaient en sang, ils n’étaient plus que plaies et douleurs, le sang coulait de plusieurs entailles assez profondes, cela semblait stimuler l’homme que Marie avait reconnu, plus le sang coulait, plus il frappait sans cesser de hurler :
« Pour qui tu as voté ? Avoue pour qui tu as voté ! »
Epuisé, souffrant atrocement, Vladimir en larmes cria à l’adresse de l’inconnu :
« Oui, j’ai voté pour Tudjman ! ».
Pauvre Vladimir, il croyait arrêter les coups en disant aux hommes ce qu’ils voulaient entendre, mais il en fut tout autrement.
Fou de colère, ivre de rage, l’inconnu assena à Vladimir un violent coup de ceinture sur la tête, avec la boucle de métal. La tête de Vladimir explosa littéralement, et le pauvre garçon tomba sur le coté, inanimé.
Le second homme s’approcha et dit :
« Ca suffit maintenant, tue-le ! »
Alors, sous les yeux effarés de la pauvre Marie, le garçon qu’elle avait reconnu sortit de sa ceinture un pistolet, il regarda le pauvre Vladimir toujours inconscient, et sans aucune émotion, il tira !
Marie ne pu en supporter d’avantage et s’évanoui.
Quand elle reprit conscience, il n’y avait plus personne autour d’elle, tout était silencieux. Elle se releva, et vit son pauvre neveu inconscient, baignant dans une marre de sang.
Marie s’approcha de Vladimir, s’agenouilla devant lui, pris la tête du jeune homme sur ses genoux et dit :
« Vladimir, réveilles-toi ! S’il te plait, réveilles-toi ! » Elle le secouait doucement comme on le ferait pour réveiller quelqu’un, mais le jeune homme ne bougeait plus.
« Oh ! Mon Dieu, il est vraiment mort ! »Dit Marie à haute voix.
Elle resta ainsi, agenouillée sur le sol froid, tenant dans ses bras contre son cœur, le corps de son neveu.
Elle se décida enfin à se relever, une douleur indescriptible lui brûlait la poitrine, la colère et la tristesse montaient en elle comme une force, alors, elle entra dans la cave où elle s’était réfugiée, et pris une pelle et une pioche.
Elle partit au fond du petit jardin et commença à creuser. Quand le trou fut assez profond, elle retourna vers son neveu, et le tira jusqu’au fond du jardin. Elle enroula le corps du jeune homme dans un drap, et le poussa dans le trou. Patiemment, elle recouvrit le corps avec la terre.
Quand tout fut fait, elle entra dans la maison chercher la bougie, l’alluma, la déposa sur la tombe de Vladimir, et fit une prière.
Marie était complètement bouleversée, terriblement choquée de tout ce qui c’était passé dans la journée. Tristement, elle regarda une dernière fois la tombe de son neveu, lui adressa un dernier «adieu » et sortit de la maison :
« Allez viens Rex, il faut repartir ! » Dit-elle.
Elle saisit la corde qui pendait autour du cou du chien, et se remit en route.
Tout en marchant très prudemment dans les rues désertes de Vukovar, Marie ne cessait de pleurer, à bout de souffle, elle s’arrêta un instant, bu un peu d’eau, se moucha, se calma un peu et repris son chemin, maintenant, elle réfléchissait.
« Il faut que je retourne voir Joseph, le frère de Vladimir pour lui raconter ce qui s’est passé, il saura sûrement quoi faire ! ».
Tout doucement, en se cachant toujours, Marie se rapprochait de l’endroit où se cachait Joseph et tous les autres.
Les bombardements avaient repris, et les groupes d’anarchistes, comme celui qui avait tué Vladimir, patrouillaient sans cesse les rues, il fallait faire très attention !
Enfin, Marie arriva dans la ruelle où se trouvait la grande cave, retrouva la porte et entra très vite.
Il sembla à Marie que la cave s’était encore remplie de personnes, il y avait beaucoup plus de monde que le matin, mais marie n’eut pas à attendre, une voix familière appela :
« Tata, tu es revenue ! Tout va bien ? » Demanda Joseph en se précipitant vers elle, « tu as retrouvé Stéphane et ses enfants ? Est-ce qu’ils sont morts ? ». Joseph posait beaucoup de questions, et il ne laissait pas de temps à Marie pour y répondre, alors, elle attendit qu’il ait fini de parler et dit :
« Hélas non ! Je n’ai pas encore retrouvé Stéphane et ses enfants, mais j’ai retrouvé ton frère Vladimir, et il faut que je te raconte l’horrible chose qui s’est passée ! »
« Mon frère est mort ? » demanda directement Joseph,
« Oui ! Il est mort, et il a beaucoup souffert avant de mourir, voici ce qui s’est passé là-bas… » Et Marie raconta à Joseph tout ce qui s’était passé devant la maison.
Le pauvre joseph s’effondra en pleurs, ils s’assit et prit son visage dans ses mains. il pleurait, comme un petit garçon, avec de gros sanglots déchirants, mais il savait qu’il n’y avait plus rien à faire :
« Merci tata de l’avoir enterré dans le jardin, tu as du peiner pour creuser la terre, nos parents te seront reconnaissants pour ce geste ! »
Marie et Joseph restèrent encore une semaine entière dans la cave avec tous les autres. Les bombardements continuaient en se rapprochant dangereusement de la cave.
L’armée Serbe avait envahie ce qui restait de Vukovar, mais ce n’était plus qu’une ville fantôme.
Le lendemain, la porte de la cave s’ouvrit brutalement, et tout le monde fut contraint de sortir, sous la menace des fusils de l’armée serbe.
Les soldats formèrent deux colonnes une avec les hommes, l’autre avec les femmes, puis ils formèrent une troisième colonne, avec les enfants.
Ensuite, les soldats firent monter tout le monde dans des bus, et ils quittèrent la ville. En fait, ils n’allèrent pas bien loin, ils s’arrêtèrent à la sortie de la ville, devant l’immense chambre froide qui servait d’entrepôt pour tous les fruits et légumes des agriculteurs des environs, et là, les soldats firent descendre tout le monde, et tous furent enfermés dans la chambre froide.
Ils y restèrent plusieurs jours et plusieurs nuits, c’était insupportable, plusieurs personnes étaient malades, d’autres étaient blessées, et tous avaient froid, faim, et surtout très peur.Personne ne savait ce qui allait se passer, et dans le doute, c’est toujours le pire que l’on imagine, cela donna quelques scènes de folie, certains se mettaient à crier, ou a se battre, d’autres pleuraient sans cesse, mais combien de temps encore allaient-ils rester là ?
Un matin, les portes de la chambre froide s’ouvrirent et les soldats serbes fient sortirent tous les hommes.
Une vingtaine de bus attendaient devant la porte, les hommes furent poussés à l’intérieur, et les tous bus repartirent.
Personne ne savait où ils allaient. Le soir venu, les bus s’arrêtèrent, les soldats ouvrirent les portes, et sous la menace de leurs armes, firent descendre les prisonniers.
Parmi les soldats, se trouvait un grand moustachu, c’est lui qui parlait le plus souvent aux prisonniers, il dit :
« Ceux qui veulent aller pisser descendent, il faut faire vite ! »
Joseph était parmi ceux qui voulaient descendre du bus, il sorti et regarda autour de lui dans l’espoir de trouver une issue pour sa fuite, mais derrière lui, se tenait un soldat armé, et plusieurs autres descendirent des bus, il n’avait pas beaucoup de chance pour l’instant, mais il ne perdait pas espoir !
Alors qu’il avançait pour trouver un coin afin de se soulager, Joseph entendit juste derrière lui, un coup de feu. Il se retourna juste à temps pour voir un des prisonniers s’effondrer par terre :
« Vous voyez, il voulait se sauver, alors je l’ai tué ! Bande de sales ustasi ! Et ce sera pareil pour tous ! » dit le soldat en regardant tout autour de lui.
La détonation avait fait sursauter joseph et lui avait coupé l’envie d’uriner, alors, très vite, il remonta dans le bus et repris sa place en silence, il tremblait de peur.
Les bus reprirent leur route. Ils s’arrêtèrent dans un village de Serbie et tous les hommes descendirent.
Les soldats placèrent les prisonniers les uns derrière les autres, mains sur la tête et les firent avancer jusqu’à la place du village. Là, se tenaient plusieurs personnes, apparemment les habitants du village, il y avait des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants et tous tenaient quelque chose à la main, certains une cane, d’autre des bâtons ou encore des manches de pioches.
Joseph et ses compagnons étaient contraints de passer le plus près possible du groupe, et chaque personne du village leur frappait dessus avec l’outil qu’il avait dans les mains en criant :
« Voilà pour toi, sale ustasi ! ».
Sur le coté du groupe de villageois, se trouvait un vieillard qui disait à un enfant :
« Regardes, regardes bien à quoi ça ressemble, un ustasi ! ».
Les prisonniers furent ensuite conduits dans une grange. Le sol était recouvert de paille Joseph et tous ses compagnons, épuisés, meurtris s’allongèrent sur la paille pour essayer de dormir et d’oublier un peu la souffrance, mais à peine étaient-ils allongés qu’un soldat serbe entra dans la grange et ordonna aux prisonniers :
« Tous assis contre le mur du fond, et les mains sur la tête ! Et surtout que personne ne bouge ! ».
Pauvre Joseph, comme les autres, il passa une nuit difficile, si l’un d’entre eux s’avisait de tourner la tête ou de changer de position, il se prenait aussitôt un coup de matraque sur la tête ou dans le dos, et le soldat disait :
« J’ai dit on ne bouge pas ! T’as pas encore compris ? ». La nuit fut longue et douloureuse.
Le lendemain matin, on les remis dans les bus, et ils roulèrent jusqu’à Bosansic Samac ville de Bosnie.
Ils descendirent des bus et furent conduit dans une grange ; Là, on les fit attendre plusieurs heures, et ils furent échangés contre des officiers serbes prisonniers. Ils n’avaient servit que de monnaie d’échange !
Pour joseph, le cauchemar s’arrêtait là, on le mit dans un train, et il partit pour Zagreb.

Quand les soldats serbes avaient emmenés tous les hommes de la chambre froide, ils n’avaient pas jugé utile de retenir les femmes prisonnières.
Depuis, Marie et beaucoup d’autres femmes et d’enfants marchaient dans les rues de Vukovar. Tout avait été détruit, et les débris des maisons en ruines empêchaient de marcher sur la route.
C’était difficile de marcher, il fallait toujours enjamber, contourner ou grimper sur quelque chose pour avancer, c’était vraiment fatiguant.
Marie arriva enfin à la gare de Borovo, située juste après Vukovar, là elle prit le train pour aller jusqu’à Slavenski Brod, le village où vivait son plus jeune fils, Yvan.
En arrivant devant la maison de son fils, Marie avait été assaillie de doutes et s’il n’y avait plus personne ? Cela avait été son pire cauchemar toutes ces dernières nuits.
Yvan reçu sa mère à bras ouverts. Marie était très heureuse de revoir son fils, sa belle-file et surtout ses petits enfants. La joie des retrouvailles fut de courte durée, la réalité de la guerre reprit vite le dessus.Marie raconta à son fils tout ce qu’elle avait vu et vécu à Vukovar et conclut :
« Mais je ne sais toujours pas si ton frère Stéphane est toujours vivant ! »
Yvan s’approcha de sa mère, l’embrassa sur la joue, lui prit la main et lui dit :
« Oui maman, Stéphane est toujours vivant, j’ai eu des nouvelles, il va bien, il devrait venir bientôt, il veut que je lui trouve un logement pour lui et sa famille, il revient habiter par ici, près de nous ! ».
Les yeux de Marie s’emplirent de larmes, de joie, enfin une bonne nouvelle !





Quelques temps plus tard, alors que Marie dormait paisiblement dans sa chambre, un énorme bruit, comme un coup de tonnerre la réveilla en sursaut.
Elle se redressa dans son lit, et vit que c’était le mur de sa chambre qui venait d’être détruit par un bombardement, elle n’avait même pas eu le temps de sortir de son lit ! :
« Maman ! Maman! Tu es là ? Réponds-moi ! » criait Yvan
« Je suis là ! Ça va ! » dit Marie un peu abasourdie.
Yvan soupira de soulagement, il avait cru un instant avoir perdu sa mère :
« Viens vite nous descendons à la cave ! » Dit Yvan en prenant sa mère par la main.
Marie, Yvan sa femme et ses enfants se réfugièrent dans la cave.
Les bombardements ne s’arrêtaient pas, ils étaient vraiment tout proche, et Marie crut que cette fois, c’était vraiment la fin !
Enfin, les bombardements s’arrêtèrent.
Le matin suivant, Marie et Yvan sortirent de la cave pour voir ce qu’il restait de leur maison. Il n’y avait plus de toit, et un des murs était tombé.
Yvan et sa femme nettoyèrent un coin de la maison pour y vivre le mieux possible. Durant la nuit, tout le monde restait enfermé dans la cave, et la journée, ils réparaient petit à petit la maison.
L’armée croate avait bombardé le pont de Slavonski Brod, celui qui traversait la rivière Sava, et qui menait de l’autre coté, directement en Bosnie. Les Croates ne voulaient pas que l’armée serbe puisse traverser ce pont, alors ils l’ont détruit, condamnant en même temps tous les civils qui voulaient traverser.
Enfin l’O.N.U, communauté européenne, avait décidé de faire quelque chose.
Et c’est l’Allemagne qui fut le premier pays à reconnaître l’indépendance de la Croatie.
Peu à peu, les bombardements s’espacèrent, pour s’arrêter complètement, enfin !
La paix était enfin revenue, mais il y avait beaucoup à faire pour recommencer une vie normale, tout était à reconstruire !
Yvan avait terminé de réparer la maison, il dit à sa mère :
« Maman, tu vas rester ici avec nous ! »
« Oui ! Mon fils, je vais rester près de toi, j’ai vu trop de vilaines choses dans ma vie, je suis fatiguée, maintenant, il est temps que je me repose enfin ! ».


CHAPITRE 14








J’ai vu Marie trois ans plus tard, âgée de 88 ans, elle est sourde et aveugle.
Je peux vous assurer que tous les évenements de sa vie, racontés ici, ont été recueillis ce jour là de vive voix, par moi-même Eugénie KAPLUN.
Très récemment, ma sœur m’a annoncé que pour ma tante Marie, les souffrances étaient enfin terminées.
Marie est partie en 2001, elle avait 91 ans.
Paix à son âme !

Yugoslavija -TIME

MARIO KEKIC

TIMEBUSTER



FIN